Filière porcine française : la crise à tous les étages

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ée dans une chambre froide du marché de Rungis, en juillet 2012 (Photo : Francois Guillot)

[02/03/2013 14:57:03] RENNES (AFP) Entre des éleveurs pris à la gorge et des abattoirs sous pression, la filière porcine française vit une crise profonde avec comme issue probable une restructuration drastique du secteur du producteur au distributeur.

Premier signe apparent du malaise de la filière, les abattoirs bretons, Gad SAS (Abattage/découpe, 1.700 salariés), ont été placés en redressement judiciaire mercredi.

Et depuis plusieurs années déjà, de nombreux éleveurs –étranglés par un prix du porc trop bas, une flambé du prix des aliments pour les animaux, des normes européennes contraignantes– ont dû cesser leur activité.

Le phénomène va s’accentuer en 2013: ce sont de 10 à 15% des éleveurs qui vont jeter l’éponge avec une baisse prévue de la production estimée à 1.100.000 porcs, soit l’équivalent du nombre de porcs abattus par an dans un gros abattoir.

Même si la viande a atteint en moyenne 1,454 euros le kilo en 2012, dépassant certains mois des records de prix datant de 20 ans, le compte n’y est pas pour les éleveurs: 65% du prix du porc est constitué de son alimentation, et le prix des aliments a augmenté de 50% en quatre ans.

Le Marché du porc breton (MPB, référence pour le prix du porc français) explique ainsi dans sa note de conjoncture de janvier “que produire du porc dans le contexte de tension actuelle des matières premières coûte entre 1,60 et 1,70 euros” le kilo.

“Pris en étau”

Cette hausse du prix du porc, bien qu’insuffisante pour les éleveurs, s’est répercutée sur les abattoirs, déjà fragilisés par la baisse de la production qui a placé bon nombre d’entre eux en situation de surcapacité.

Un phénomène qui a touché de plein fouet les deux abattoirs de Gad SAS qui ont accusé, selon une source proche du dossier, 20 millions d’euros de pertes en 2012.

L’activité d’abattage a ainsi chuté de -2,5 % en 2012, et une baisse de -3,5 % est attendue en 2013, selon Paul Rouche, directeur délégué du SNIV/SNCP (Syndicat national de l’industrie des viandes/Syndicat national du commerce du porc). Il y aurait aujourd’hui deux abattoirs en trop en France.

Un chiffre qui inquiète quand on sait que l’abattage/découpe représente 42 à 43.000 salariés dans l’hexagone, dont environ 25.000 en Bretagne, où 57,5% de la viande porc française est produite.

Si le prix est remonté, “on s’est heurté face à nos clients à une difficulté pour faire répercuter les hausses en amont, on est pris en étau, on se heurte à une politique de la distribution d’être toujours le moins cher”, dénonce M. Rouche.

“Tous les distributeurs n’ignorent pas la difficulté de la filière”, assure pourtant un porte-parole de Système U. Mais un consensus entre distributeurs sur les prix parait impossible, alors que face à la crise, ils se livrent une guerre féroce.

“On se tient tous un peu par la barbichette, le premier qui lâche au niveau des prix se retrouve dans une situation pas facile, les clients auraient vite fait d’aller voir ailleurs”, note-t-il.

Pendant ce temps chez les industriels de l’abattage, on espère “un leader plus important qui puisse être fort face à la distribution” et plus efficace à l’export, explique M. Rouche.

A l’instar de la viande de b?uf où Bigard est le poids lourd du secteur avec près de 40% des parts de marché, dans le cochon le leader est l’entreprise bretonne Cooperl-Arc Atlantique, mais elle ne représente que 20% du marché français. Il faudrait atteindre les 35%, dit M. Rouche.

Concurrence européenne

Les abattoirs, où le travail est essentiellement réalisé à la main, dénoncent aussi la concurrence déloyale de leurs concurrents européens. En effet si en France le salaire minimum (Smic) s’applique pour tous les salariés, l’Allemagne fait appel en masse à des salariés des pays de l’Est payés trois fois moins cher, tout comme l’Espagne avec environ 40% de travailleurs étrangers dans ce secteur.

Les abattoirs allemands peuvent ainsi se permettre de “payer le porc un peu plus cher aux éleveurs car ils ont moins de coûts de main d??uvre”, relève Alain Berger, délégué interministériel aux industries agroalimentaires, chargé de la crise de la filière porcine.

Une étude de l’Institut français du porc (Ifip) menée sur le coût de la main d’oeuvre révèle qu’en moyenne l’élaboration d’un kilo de porc en Allemagne (découpe et désossage partiel) coûte ainsi 3 à 4 centimes de moins qu’en France. Sur les millions de tonnes produits par les abattoirs, la facture est lourde.

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élevage de porcs (Photo : Denis Charlet)

En outre, les éleveurs allemands, qui ont bénéficié d’applications des normes européennes plus souples que leurs homologues français, en ont profité ces dernières années pour regrouper leurs élevages et se moderniser.

Aujourd’hui en France, rien que pour la modernisation des élevages, pas moins de 2,5 milliards d’euros seraient nécessaires, selon l’Institut du porc français (IFIP).

Les abattoirs allemands se sont aussi entièrement restructurés et modernisés, en partenariat avec les distributeurs avec lesquels ils ont signé des contrats, note Michel Rieu, directeur du pôle économique de l’IFIP.

Au final, avec une main d??uvre à bas coût et une filière restructurée, le consommateur allemand achète ses côtes de porc chez les distributeurs 10 à 15% moins cher que le consommateur français, selon M. Rieu.

Une concurrence qui fait très mal à la filière française, moins compétitive sur son marché intérieur, laissant la porte ouverte aux importations de viande porcine allemande et espagnole, principalement à destination des industriels de la charcuterie et de la transformation.

Une raison pour laquelle la filière porcine française, mettant en avant les dérives mises au jour par la crise de la viande de cheval, réclame aujourd’hui une traçabilité sur ces produits transformés, comme elle se pratique déjà sur la viande fraîche avec le label VPF (Viande de porc français).

Tous les regards sont désormais braqués vers le gouvernement français qui devrait présenter en mars son plan de sauvetage de la filière porc.