«Des discussions? Nous en avons eu avec le ministre du Transport, mais c’est un dialogue de sourds. Des fois nous avons l’impression que nous sommes face à un autiste, qui vous écoute sans vous entendre et qui est dans le déni de tout ce qui existe sur le terrain. C’est un ministre qui suit sa propre logique du style «cause toujours, tu m’intéresses». Il se déplace dans la compagnie nationale avec son chargé de la communication, un blogueur muni d’un Ipad qui s’occupe également de sa page Facebook. Il n’est d’ailleurs pas le seul blogueur à s’occuper des sites du ministère et des affaires du ministre. Pour le reste, nous sommes face à un mur».
Selon certains membres du syndicat UGTT de la compagnie battant pavillon national, Tunisair, l’état des lieux n’est pas des plus rassurants, mais il n’est pas non plus désespérant si le plan de restructuration proposé par la direction générale, revu et corrigé par le personnel, est adopté et mis à exécution.
Tunisair est devenue aujourd’hui un enjeu de taille et un objet de controverse entre les nouveaux arrivés qui veulent faire du «nettoyage», comme Madame Néjia El Gharbi, secrétaire générale, et les anciens.
Pièce maîtresse du dispositif d’élaboration de la prise de décision, la SG intervient, en principe, à toutes les étapes de l’organisation et du fonctionnement de la compagnie. Malheureusement, nombre d’agents de Tunisair prétendent qu’elle avait été nommée tout juste pour être «l’œil de Moscou» pour les autorités de tutelle; pire, elle serait, d’après eux, en train de régler leurs comptes à ceux qui ont un rapport avec le licenciement de son mari de la compagnie. Vrai? Faux?
Le fait est que l’ambiance «tunisairienne» n’est pas la meilleure qui soit pour une compagnie aérienne: dégradation du climat de confiance, perte de vitesse de positionnement et de compétitivité et risque de se retrouver en situation de blocage quant au respect des engagements à moyen terme. D’où l’urgence du lancement du plan de redressement social et financier, ce qui ne serait pas une tâche des plus facile avec un ministre qui tient à son poste plus qu’au développement du secteur du transport tous azimuts en Tunisie y compris celui de l’aérien.
Pour le syndicat PNT, la mise en application d’un tel plan dépend des orientations que le gouvernement voudrait bien suivre: remettre la compagnie sur pieds et en faire un hub méditerranéen grâce à son positionnement géostratégique et à ses nouvelles acquisitions datant de Ben Ali? Ou bien laisser les choses se dégrader jusqu’à arriver au point où le seul moyen de la sauvegarder serait de la céder?
Laisser la compagnie péricliter pour la céder ensuite ou la restructurer?
Quelles portes de sortie s’offrent à la compagnie nationale devant la dégradation de sa situation non seulement sociale mais aussi de son positionnement au niveau des compagnies aériennes rivales tant au niveau des prestations que de la rentabilité?
Tout d’abord, il va falloir être très regardant quant au nouveau plan de management de la compagnie. Les syndicats proposent dans ce cadre une plus grande souplesse dans la gestion grâce à la mise en œuvre d’un mode d’auto-gouvernance qui permettra à Tunisair d’être plus autonome dans la prise des décisions qu’elle jugera «les mieux adaptées aux contraintes engendrées par les spécificités du secteur aéronautique, et ce sans attendre que cela soit approuvé par des changements de décrets et en se suffisant des décisions prises au niveau du Conseil d’administration».
Concernant la nomination des personnels aux emplois fonctionnels, elle devrait, selon les syndicats, se faire sur la base de critères approuvés par la Direction générale sans revenir aux autorités de tutelle. Ceci est valable pour tous les actes de carrière devant être soumis à la tutelle ou au Premier ministère.
Pour garder les compétences et motiver d’autres à rejoindre le giron de la compagnie, l’élaboration et la mise en place d’un système de motivation et d’incitation à la productivité, selon des normes quantifiables et mesurables, serait de mise. Les syndicats appellent même à l’adaptation de la rémunération de certains corps de métiers aux contraintes et difficultés de la tâche (ex: travail de piste, vols contraignants, travaux de nuit pour les manœuvres). Le Syndicat va plus loin en appelant à ce que le système promotionnel et l’évolution de carrière et de la rémunération soient basés sur le mérite et le rendement réel en appelant à rompre avec le système actuel rémunérant identiquement tous les agents.
Appel au retour de la sous-traitance pour satisfaire aux exigences du transport aérien
L’élimination systématique de la sous-traitance sera sans doute l’une des erreurs monumentales commises par la centrale syndicale des travailleurs aux dépens de l’intérêt de l’économie tunisienne. Approuvée par des gouvernements fragilisés par le contexte postrévolutionnaire, elle a limité le champ d’action des entreprises, freiné le désir des multinationales de s’installer en Tunisie et alourdi les charges des sociétés et usines concernées par la saisonnalité du travail.
Les syndicats de Tunisair (PNT) appellent aujourd’hui de nouveau au recours «à la sous-traitance, seule solution pour la saisonnalité du travail dans l’aérien (ex: le 02/09/2012, Tunisair a effectué plus de 200 vols, et a transporté plus de 22.000 passagers, alors que le mardi 27/11/2012, ces chiffres sont descendus a 40 vols et à moins de 5.000 passagers). Le rapport est de l’ordre de 1 à 4, et nécessite d’adapter l’effectif en conséquence avec un renfort par la sous-traitance, serait valable les week-ends également.
Transformer la dette de l’OACA en participation au capital
«Pourquoi pas l’abandon des 166 MDT de dettes contractées par Tunisair auprès de l’OACA en échange de l’entrée de cette dernière dans le capital de la compagnie? Les Emirates, Al Qataria, Al Ittihad, le font, pourquoi pas nous?»
Avoir dans les deux conseils d’administration de Tunisair et de l’OACA des représentants de l’une et de l’autre et être des parties prenantes dans les deux capitaux des entreprises publiques évoluant dans un secteur très concurrentiel pourrait les rendre plus fortes et leur permettre de mettre en place des stratégies communes de développement de leurs offres et d’amélioration de leurs prestations.
Les syndicats de Tunisair appellent également au remboursement des dettes de la compagnie par les organismes gouvernementaux partant de la présidence et jusqu’aux départements ministériels comme les Affaires étrangères, le Tourisme et d’autres, et qui sont de l’ordre de 16 MDT ou encore les 20 MDT de retour sur TVA de la part du ministère des Finances.
«Si le gouvernement tient à sauver Tunisair, nous avons les moyens d’y parvenir et nous sommes même prêts à entamer des négociations pour discuter le plan de restructuration proposé par la direction générale et qui prévoit 1.700 suppressions d’emploi. Nous fonctionnons aujourd’hui avec 230 employés par avion, ce qui est loin des standards internationaux qui stipulent un maximum de 175 employés par appareil. Il faut reconnaître, d’un autre côté, que notre personnel est payé 30% moins cher que celui des compagnies internationales de la taille de la nôtre».
«Les suppressions d’emplois ne se feront pas sans dédommagements conséquents et des discussions sérieuses avec les autorités de tutelle pour savoir où l’on va et qu’est-ce que l’on veut faire de la compagnie»
Pour les syndicats de Tunisair qui comptent bien défendre bec et ongles leur compagnie, «Tunisair pourrait devenir, à l’horizon 2020, l’une des compagnies majeures du bassin méditerranéen avec un réseau densifié, interconnecté, élargi à de nouveaux continents. Elle sera structurellement rentable, orientée vers la satisfaction de la clientèle et l’épanouissement de ses employés».
La question qui revient toujours est: «le gouvernement, lui, que veut-il faire de cette compagnie symbole de la souveraineté nationale? La laisser se détériorer et la vendre pour une bouchée ou batailler avec les syndicats et les personnels de Tunisair pour en faire une référence dans la région? Toute stratégie à mettre en œuvre dépendra de la réponse à cette question».
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