Maths et finance : une équation indispensable mais loin d’être infaillible

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à Chicago, le 12 décembre 2012 (Photo : Scott Olson)

[12/03/2013 07:49:54] PARIS (AFP) Les modèles mathématiques ont renforcé leur emprise sur le monde de la finance depuis la crise de 2008, mais leur utilisation ne fait pas l’unanimité: certains économistes soulignent leur inefficacité voire leur nocivité en cas de nouveau tsunami financier.

Les maths, utilisés massivement depuis les travaux des prix Nobel d’économie Robert Merton et Myron Scholes il y a tout juste 40 ans, ont aujourd’hui pénétré tous les secteurs de la finance moderne.

Ils servent à évaluer les produits complexes comme les dérivés, à élaborer les normes de contrôle des banques et sont très utilisés par les agences de notation ou dans la gestion “informatisée” des portefeuilles dite gestion quantitative.

“Ils sont encore plus présents depuis la crise. Les banques et fonds d’investissement ont ralenti leurs embauches et ont eu tendance à remplacer une partie de leurs employés par des logiciels”, relate Olivier Pironneau, professeur de mathématiques appliquées à l’Université Pierre et Marie Curie.

“Jusqu’à un quart des polytechniciens fraîchement diplômés partent chaque année travailler dans le monde de la finance”, estime-t-il.

ITO 33, une société parisienne qui fabrique des programmes informatiques pour modéliser des produits dérivés, recrute ainsi des ingénieurs sortis des grandes écoles. “Nous louons entre 40.000 et 600.000 euros à l’année nos logiciels”, indique Elie Ayache, l’un des fondateurs de l’entreprise.

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à la Bourse de New York (Photo : Ramin Talaie)

Chez State Street Global Advisors, l’un des principaux gestionnaires d’actifs au niveau mondial, quelque 1.500 milliards de dollars sont gérés grâce à des formules algorithmiques.

“Il faut dans une société de gestion traditionnelle un grand nombre d’analystes spécialisés dans tels ou tels secteurs. A l’inverse, dans une équipe quantitative, moins d’une dizaine de personnes peuvent suffire”, souligne Frédéric Dodard, responsable des solutions d’investissement pour la société américaine, basée à Boston.

“Prendre de la distance”

Selon lui, “la gestion quantitative est performante quand l’environnement de marché est stable, mais peut l’être beaucoup moins en cas de fortes turbulences comme à l’été 2011”.

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à Tokyo, le 1er juin 2012 (Photo : Toru Yamanaka)

Tout le danger est là. “Les ingénieurs mathématiciens ont bien souvent une confiance aveugle dans leurs modèles, mais ceux-ci sont une simplification extrême de la complexité des marchés. Ils ne prennent pas en compte les +cygnes noirs+, les évènements rares qui peuvent survenir”, relève Bertrand Jacquillat, professeur d’économie à Sciences-Po Paris.

Ce membre du Cercle des économistes pointe du doigt “l’usage irraisonné des mathématiques en partie responsable du krach de 1987 et des erreurs d’évaluation des agences de notation à l’origine de la crise des +subprimes+. Ils ont été incapables d’anticiper, de rectifier, mais ont même parfois amplifié les problèmes”, estime-t-il.

D’autres économistes déplorent que les algorithmes, même s’ils intègrent de nombreux paramètres, ne tiennent pas compte de certaines données.

“L’Insee publie par exemple des prévisions de croissance qui ne sont pas incorporées dans les modèles. Ils n’intègrent pas non plus une mesure comme la taxe sur les transactions financières qui pourtant aura un impact même secondaire sur le marché”, déplore M. Pironneau.

Au final, “il n’est pas question de ne plus utiliser les maths, mais il faut prendre suffisamment de distance pour être à tout moment capable de les contredire”, estime Bertrand Jacquillat.