Russie : l’indépendance de la banque centrale en question

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ésident russe Vladimir Poutine (c), Elvira Nabioullina (g) et Sergueï Ignatiev, le 12 mars 2013 à Moscou (Photo : Mikhail Klimentyev)

[13/03/2013 09:20:19] MOSCOU (AFP) Les milieux économiques accueillaient mercredi avec un certain malaise la nomination à la tête de la banque centrale de Russie d’Elvira Nabioullina, craignant que la proximité de cette économiste reconnue avec le Kremlin n’entame l’indépendance de cette institution respectée.

Le président russe Vladimir Poutine a annoncé mardi soir avoir sélectionné sa conseillère économique et ancienne ministre du Développement économique de 49 ans pour succéder en juin à Sergueï Ignatiev, en poste depuis onze ans. Sa nomination doit être validée par le Parlement, ce qui devrait être une formalité.

Pour Ivan Tchakarov, économiste de Renaissance Capital, ce choix “porte un coup à l’indépendance” de la banque centrale de Russie (BCR).

“Cela peut être interprété plus généralement comme un nouveau renforcement du pouvoir de Vladimir Poutine sur les institutions clés du pays”, regrette-t-il.

La BCR a évolué ces dernières années vers un modèle proche de ses grandes homologues occidentales, avec une politique centrée sur le contrôle des prix et une plus grande flexibilité du rouble, ce qui lui vaut un certain respect sur la scène financière.

“C’est aussi un régulateur du système financier”, avait souligné mardi l’homme fort du Kremlin.

La banque centrale doit hériter d’ici à 2015 de fonctions de régulation des marchés financiers jusque là assurées par le gouvernement, qui envisage à ce titre de faire siéger plusieurs de ses représentants au sein de la BCR. Cette idée a été perçue par certains observateurs comme une atteinte à son indépendance, garantie par la Constitution.

Le choix de M. Poutine “porte un coup aux espoirs d’une politique monétaire plus indépendante dans les années à venir, même s’il ne devrait pas se traduire par des changements majeurs”, ont estimé les analystes de Capital Economics.

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écembre 2011 à Genève (Photo : Fabrice Coffrini)

Originaire d’Oufa, près du bassin de la Volga, économiste diplômée de l’université de Moscou, Mme Nabioullina a effectué dans les années 1990 plusieurs passages dans des cabinets ministériels ainsi qu’un bref passage dans le secteur financier.

Ministre du Développement économique entre 2008 et 2012 au sein du gouvernement dirigé par Vladimir Poutine, elle le suit au Kremlin lors de son retour à la présidence il y a un an.

“Economiste équilibrée et très qualifiée”, selon les analystes d’Alfa Bank, elle est réputée plutôt libérale et connue pour avoir suivi des dossiers délicats, comme l’entrée de la Russie dans l’Organisation mondiale du Commerce, sans se faire d’ennemis.

Très respecté des milieux financiers, l’ex-ministre des Finances Alexeï Koudrine, dont le nom circulait pour le poste, a jugé qu’Elvira Nabioullina était une “bonne candidate”, louant sa “poigne” et son “expérience”.

Pour Dmitri Boutrine, spécialiste des questions macroéconomiques au quotidien Kommersant, elle est “une fonctionnaire remarquable”.

Pour autant, “le fait qu’elle ait bâti sa carrière sur sa loyauté sans réserve à Vladimir Poutine et son respect (…) du système au pouvoir montre que le président veut inclure les compétences de la BCR dans le giron des décisions prises au Kremlin”, observe-t-il dans un éditorial mercredi.

Le président russe, reprenant des critiques répandues au gouvernement et dans les milieux d’affaires, s’était inquiété en janvier du niveau élevé des taux d’intérêt.

La banque centrale maintient depuis septembre son principal taux à 8,25% et ses dirigeants n’ont cessé de répéter qu’ils ne le baisseraient que quand l’inflation, au plus haut depuis 18 mois, ralentirait, affichant une fermeté peu commune en Russie.

Les économistes craignaient d’ailleurs que le choix de M. Poutine, qui avait promis la semaine dernière “une personnalité inattendue”, ne se porte sur un partisan d’une baisse drastique des taux pour relancer l’activité.

Sur ce plan, Elvira Nabioullina apparaît comme “un compromis entre les demandes d’une politique monétaire ferme (face à l’inflation, ndlr) et les voix qui s’exprimaient en faveur d’une baisse de taux au sein de la classe politique”, estime Alexander Kliment, du centre d’analyse Eurasia Group.

Mais pour cet expert basé à New York, “comme le marché la soupçonne d’être moins indépendante, elle devra justifier toute baisse de taux par la situation économique” et “résister si besoin à de fortes pressions politiques”.