A peine six mois pour redresser la barre et sauver l’économie du pays. Sinon, prévient Mustapha Kamel Nabli, un scénario catastrophe pourrait survenir. Trois fléaux nous guettent. Ou une crise du système bancaire, ou un risque de défaut du pays ou un grippage de la croissance. L’ennui, selon MKN, c’est que ce n’est pas une fatalité mais qu’elle relève de la volonté politique.
Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la BCT, a choisi l’Association des économistes tunisiens (ASECTU) pour s’exprimer publiquement après son “limogeage’’. Cela donne un caractère scientifique à son intervention, et son propos est exempt d’amertume ou d’intox.
Loin de tout académisme, ce fut une intervention “magistrale’’ basée sur une lecture fouillée des documents de base de l’économie, à savoir le Tableau des Echanges Economiques (TEE) et le Tableau des Opérations financières (TOF).
La lecture est objective et le propos mesuré. Mustapha Kamel Nabli tire la sonnette d’alarme, il y «périls» en la demeure. Comment les conjurer?
La demande intérieure, seul moteur de croissance
Mustapha Kamel Nabli a mis tous les chiffres sur la table et il a reconstitué, chronologiquement, le bien-fondé de l’ensemble de ses décisions en tant que gouverneur de la BCT.
Au sortir de son effervescence révolutionnaire, le pays se retrouve dans une situation inédite où les secteurs économiques vitaux sont sinistrés. Ainsi en est-il du secteur des phosphates, de la chimie et du tourisme qui étaient à l’arrêt et tournaient au ralenti. En pareille situation, la demande intérieure reste le seul poumon de la croissance. Et l’on ne peut la stimuler que par la politique monétaire et les instruments budgétaires.
On sait ce qu’il en est advenu. Les politiques monétaire et budgétaires ont été expansionnistes et le crédit à la consommation autant que le creusement du déficit ont ralenti le retrait de l’activité. Ils ont eu des effets induits regrettables.
Toutefois, quand on est en rupture d’équilibre, on cherche d’abord à sauver les meubles. Les crédits bancaires ont maintenu le système en activité ralentissant son recul à -1,85%, et cela aurait pu être pire selon MKN. Ce dernier reconnaissait en même temps que le creusement du déficit commercial était le contrecoup inévitable avec la reprise de l’inflation.
Cependant, nous nous rappelons que Joseph Stieglitz a validé la démarche suivie par la BCT, indiquant que Ben Bernanke avait procédé de la même façon lors de la crise des «subprimes» tout en admettant qu’une grande partie des crédits injectés ont été détournés pour être placés sur des places financières étrangères sans profiter à l’économie américaine.
Les «omissions» statistiques
Lors de son tour d’horizon, MKN a indiqué que les chiffres actuels émanent des services du Budget et que nous ne serons définitivement fixés qu’à la fin du premier trimestre, une fois que l’INS aura publié ses calculs. Il relève toutefois qu’il y a quelques omissions regrettables. Ainsi en est-il du calcul des emplois nouveaux créés. En changeant le mois de référence, les autorités ont pu aboutir au chiffre de 100.000 emplois nouvellement créés. Un adossement au bon mois de référence ne donnerait que 85.000.
Par ailleurs, il relève que la population active n’a pas été actualisée et qu’il lui manquait 105.000 personnes nouvelles qui rentraient dans la classe d’âge des citoyens en âge de travailler. Si pareilles inexactitudes s’avéraient intentionnelles, on ruinerait la confiance dans les chiffres officiels et cela ne servirait pas le retour, tant attendu, de la confiance, sur la base d’un contrat social nouveau entre la classe politique et l’opinion publique.
Comment permettre à l’économie de rebondir?
Les trois périls qui guettent le pays
L’ex-gouverneur admet que les instruments monétaires et budgétaires ont été utilisés au maximum. Le taux d’intérêt n’a plus de répondant et le déficit budgétaire est à ses limites. Où trouver les moyens pour faire repartir l’économie? C’est en offrant un climat d’affaires propre à faire repartir l’investissement que l’on pourra actionner la croissance. Sans quoi le système pourrait avoir des «ratés». Le système bancaire pourrait se trouver paralysé, et pour des raisons de liquidités et pour des raisons de solvabilité, si les affaires en reprennent pas. Faute d’inverser le creusement du solde extérieur, le pays pourrait se retrouver à court de ressources et le risque de défaut n’est pas à négliger.
Et l’investissement, s’il ne repartait pas, poserait problème car un cycle conjoncturel défavorable pourrait précipiter tous les déséquilibres et, là encore, on est en risque d’un scénario frisson.
De cela, l’opinion est presque avertie, parce que la cascade des déclassements de notation nous le rappelle et que la commission du FMI, présidée par Amine Mati, nous laisse subodorer des choses similaires.
Mais là où l’ancien gouverneur a été particulièrement incisif, c’est quand il a laissé entendre que le choix fort de retour de la confiance et de redémarrage de l’investissement est une affaire d’abord et avant tout de volonté politique.