Si ce n’est l’importance de la phase actuelle par laquelle passe la Tunisie et les risques que nous encourons si nous nous contentons d’une posture passive et attentiste, Fethia Saïdi, sociologue, membre du bureau exécutif d’Al Massar démocratique et social, se serait peut-être contentée de plancher sur ses études et recherches évitant de dépenser son énergie et son temps dans la politique et préférant laisser son exercice très souvent douloureux aux passionnés du jeu du pouvoir et aux ambitieux.
Rencontre avec une universitaire qui craint aujourd’hui un retour en arrière des droits et acquis des femmes.
WMC : L’histoire de la Tunisie a toujours été jalonnée d’exploits et d’actes héroïques féminins aussi bien dans le social que dans le politique. Pourquoi, aujourd’hui, les femmes tunisiennes n’occupent pas les devants de la scène politique?
Fethia Saïdi : La participation effective de la femme dans la vie publique et politique est intimement liée à sa situation socioéconomique ainsi qu’au niveau de développement de la culture politique dans la société où elle évolue. L’influence de la culture traditionnelle constitue souvent un obstacle à une telle participation aussi bien dans la sphère publique que privée. Et même si la Tunisie s’est dotée d’un éventail de lois et de législations datant de 1956 et représentant une base juridique visant à promouvoir la situation socioéconomique de la femme, ceci n’a pu encore engendrer un saut culturel qualitatif au sein de la société de nature à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Et ce bien que les femmes aient participé massivement à la mouvance protestataire qu’a connue la Tunisie tout au long de son histoire.
Les femmes ont été le pilier d’une mobilité sociale revendicative en vue de bénéficier de différents droits relatifs à la vie socio-économique et syndicale. Ces droits sont qualifiés de droits créances, par rapport aux droits dits politiques consacrés aux libertés individuelles.
De ce point de vue, et à titre d’exemple, le législateur tunisien a opté pour la non discrimination entre l’homme et la femme dans tous les aspects du travail après avoir mis l’accent sur l’importance du positionnement de la femme au sein de la famille. Certes, il y a eu une volonté politique depuis l’ère de Bourguiba pour conforter les droits et les acquis des femmes, mais aujourd’hui et depuis la prise du pouvoir par Ennahdha, nous assistons à un dérapage, à un retour en arrière et à une remise en question des droits des femmes.
Aucune femme ministre à part celle de la Femme, est-ce pour vous équitable au vu des compétences féminines dans notre pays?
Ce n’est pas équitable, c’est certain, et j’en suis inquiète et préoccupée. Notre Tunisie va de plus en plus mal. Dans tous les domaines nous assistons à une dégradation, un retour en arrière et plus encore aux violations des droits, surtout quand il s’agit de ceux des femmes. Il y a une tentation qui vise la chosification des femmes… Elles sont des «3oura ????» au vu d’une certaine frange de la société, et par conséquent des citoyennes de second degré. Leurs places sont donc dans la sphère privé et non publique.
Cette culture qui se propage est extrêmement inquiétante. Elle met en péril nos acquis et notre modèle de société.
En tant que militante politique, pourquoi, selon vous, le leadership féminin n’est pas aussi bien représenté que le leadership masculin sur la scène publique? Les partis d’opposition seraient-ils misogynes?
La culture patriarcale est ancrée dans la société, mises à part les idéologies et les idées progressistes des uns et des autres. Pour ce qui est de mon parti Al Massar, il est connu par ses positions en faveur des femmes. Il est à souligner qu’il était le seul parti à avoir adopté la parité au niveau des têtes de liste dans les élections du 23 octobre. Nous étions 17 femmes sur 33 circonscriptions.
Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer les images stéréotypées de la femme que les médias véhiculent et que la socialisation traditionnelle transmet. Il s’agit des images qui nient le rôle social des femmes, ainsi que leur rôle en tant qu’actrices économiques et politiques. Pour ce, la lutte des femmes continue en vue de changer les mentalités.
Penses-tu que les acquis des femmes sont menacés en cette phase délicate par laquelle passe la Tunisie?
Les acquis des femmes sont menacés, c’est certain, plus encore, nous ne sommes sûrs de rien dans cette période transitoire, voire délicate et instable. Le rôle des forces progressistes, de la société civile et des associations dans la préservation des acquis des femmes est non seulement souhaité mais déterminant…
Penses-tu que la révolution a revalorisé le rôle de la femme dans la société tunisienne? Et en tant que sociologue comment juges-tu la position des femmes aujourd’hui en Tunisie?
La situation sociale de la femme relève d’un réseau relativement complexe dans lequel s’entremêlent les multiples rôles qu’elle peut ou doit remplir. Elle est appelée à jouer le rôle d’épouse, ainsi que celui de mère, de membre actif dans la vie socio-économique et de citoyenne. Ces rôles ont connu une dynamique unique dans son genre chez la femme tunisienne dont le taux de scolarisation n’a cessé de croître et dont la présence dans le domaine public se fait de plus en plus massive.
La problématique que l’on peut poser à cet égard se résume en la question suivante: dans quelle mesure les femmes tunisiennes ont-elles réussi à donner forme et contenu à leur citoyenneté à travers cette diversité de rôles qu’elles accomplissent surtout après le 14 janvier?
Le diagnostic de cette problématique fera l’objet d’une réflexion profonde à la suite d’une lecture minutieuse du texte final de la Constitution et suivant le degré d’évolution de la situation dans notre chère Tunisie.
Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour non seulement préserver les acquis féminins mais être plus actives dans le processus politique et économique en Tunisie?
L’unification des forces progressistes est un devoir national, à mon sens, en ce moment. Nous ne pouvons pas préserver, ni acquis des droits des femmes ni acquis d’une société qui se veut moderne dans la diversion et atomisation des forces garantes d’une vision moderniste.
Commençons par cela tout d’abord. Ensuite, nombre de mesures peuvent être mises en place en vue de l’édification d’une société démocratique au vrai sens du terme… Car la démocratie ne se résume aux urnes, elle est un processus de socialisation, un ensemble de comportements et de valeurs, un savoir vivre et une culture de «vivre ensemble» avec nos différences, nos aspirations multiples et nos visions qui convergent et divergent à la fois.