On n’a certainement pas assez souligné l’originalité et l’envergure du Plan Emergence que le Maroc a défini pour conduire son développement industriel. Mais le développement a un prix, qui n’a pas été davantage pleinement considéré et qui est en train de rattraper le pays. Elles apparaissent à au moins deux niveaux: un fort pari stratégique, inscrit sous une dimension totalement internationale.
En termes de stratégie de développement, le Plan Emergence repose sur un pari très ambitieux.
Avec des productions industrielles peu sophistiquées, des exportations soumises à une vive concurrence (textile) ou exposées à de fortes variations des prix (agriculture, phosphates, tourisme), le Maroc a d’importants problèmes de création d’emplois et de richesse. Voilà le constat de départ. Or, avec un salaire minimum qui est le plus élevé d’Afrique (OIT, 2010-2011), le Maroc ne peut guère faire face à la compétition internationale sur des productions industrielles nécessitant beaucoup de main d’œuvre…
Voilà le pari stratégique. Il est ambitieux. Aujourd’hui, les biens manufacturés représentent 65% des exportations marocaines, contre 75,3% des exportations tunisiennes. Les exportations marocaines représentent 35% de son PIB, contre 57% en Tunisie et 49,5% en moyenne pour les pays MENA.
… A mi parcours, aujourd’hui, il semble que les objectifs du Plan Emergence ne seront pas atteints. Mais peu importe !
En fait, les réalisations à ce stade sont même décevantes. Les filières automobile et aéronautique ne sont tirées que par deux entreprises étrangères (Renault et Bombardier). Les équipementiers de rang 1 n’ont pas suivi. L’électronique et l’agroalimentaire stagnent par rapport à leurs objectifs. L’offshoring a enregistré une croissance de 18% par an ces dernières années mais sur les 20 milliards DH attendus, seulement 8 ont été réalisés…
Au total, le Plan vise 50 milliards DH de PIB industriel supplémentaire en 2015. 28,4 milliards ont déjà été réalisés (56,8%). Mais par rapport au supplément d’exportations de 95 milliards également attendus, seuls 24,3 ont pu être trouvés à ce stade (25,5%). Sur les 220.000 emplois planifiés, 78 000 seulement ont été créés.
Les freins restent nombreux (accès au foncier pour les entreprises, formations, accès au financement, …) et les objectifs ne seront sans doute pas pleinement atteints. Tans pis ! Sans doute étaient-ils un peu élevés, surtout dans un temps si court et en période de crise internationale. L’important est qu’une stratégie ambitieuse ait commencé à être conduite et qu’une dynamique ait été créée.
… Certes, le coût social d’une telle dévaluation aurait été lourd, dès lors que beaucoup d’importations sont peu compressibles. Mais c’était là le vrai prix de l’émergence, que le Maroc paiera de toute manière, compte tenu de son manque de productivité. Bien pilotée, une dévaluation aurait au moins permis que le sacrifice soit productif.
Si l’on considère l’exemple des pays asiatiques, on se rend compte que l’émergence économique représente un inévitable prix à payer par une génération : des salaires faibles ou un pouvoir d’achat grevé par la sous-évaluation de la monnaie. Difficile aussi bien, pour soutenir l’émergence, d’éviter que les banques n’accumulent les créances douteuses, l’important étant que les vannes du crédit soient suffisamment ouvertes, à bon escient…
Pour le pays, beaucoup d’éléments sont à portée ainsi et il est à souhaiter que le prix de son émergence soit acquitté de son propre fait plutôt qu’imposé par le FMI…