C’est à la faveur d’une rencontre organisée par la Chambre régionale des femmes chefs d’entreprise de Tunis (relevant de l’UTICA), présidée par la dynamique Sonia Ben Mrad (présidente de la chambre), que des femmes politiques et chefs d’entreprise se sont rencontrés pour parler d’enjeux, de projets et de peurs. Un déjeuner-débat rehaussé par la présence des députées Maya Jeribi, Souad Abderahim, Selma Baccar, Selma Mabrouk mais aussi de la journaliste et militante Oum Zyed. On devait ne parler que de relation entre le politique et l’économique sur fond de période constitutionnelle et de transition démocratique… Pourtant, de nombreux sujets qui fâchent furent aussi au rendez-vous!
Quand Wided Bouchamaoui prend la parole, la salle réalise particulièrement que les enjeux ne sont pas uniquement -et peut-être pas prioritairement- ceux liés aux droits des femmes. La situation économique du pays est fortement préoccupante pour ne pas dire alarmante: «Face à la faillite qui menace la Tunisie, il n’y a plus ni femmes ni hommes qui tiennent, il y a la faim et la famine!»
Les propos sont cruels. Ils ne peuvent avoir que plus de résonnance quand ils sortent de la bouche même du patron des patrons de Tunisie. Frappée par la crise, l’économie tunisienne suffoque: «Nous avons besoin de toutes les forces vives, et le capital est inlassablement montré du doigt. On nous diabolise depuis plus de deux ans et cela continue… Qu’on en finisse et qu’on passe à autre chose! Le pays est à genoux! De toutes les façons, il ne fait pas bon être homme ou femmes d’affaires bien que le secteur privé emploie 1,3 million de personnes contre 1,4 millios dans le secteur public. Nous souffrons pour maintenir les emplois et l’équilibre social mais jusqu’à quand?»
S’il n’est certes pas facile d’être présidente de l’UTICA, être entrepreneur et femme reste compliqué dans la Tunisie post-14 janvier.
Wided Bouchamaoui explique: «C’est de plus en plus difficile pour les femmes qui souffrent d’ailleurs autant qu’avant. Quid de l’octroi des crédits bancaires qui deviennent utopiques? Quel droit ont-elles à la formation? Pourquoi le primordial est devenu de maintenir les droits et les acquis alors que l’on aspirait à plus et mieux? Pourquoi les femmes font-elles autant peur? Ne sont-elles pas citoyennes avant tout?»
Wided Bouchamaoui ne cache pas sa colère de voir si peu de femmes dans le nouveau gouvernement d’Ali Laârayedh qui, pour la petite histoire, s’en est excusé: «Nous aurions pu avoir plus de femmes au gouvernement. Nous avons des magistrats de haute voltige qui auraient pu prendre la tête du ministère de la Justice. Pourquoi ne sont-elles même pas envisageables à la tête de ministères régaliens? Pourquoi semble-t-il impossible qu’une femme soit chef du gouvernement?»
Descendante d’une famille d’entrepreneurs originaire de Gabès et bien loin de se contenter de n’être qu’un faire valoir, Wided Bouchamaoui hausse aussi le ton envers les medias qui ne donnent pas suffisamment de temps et de visibilité aux femmes.
Première femme à présider une centrale patronale dans le monde arabe, sa prestation s’améliore au fil des obstacles qu’elle rencontre et n’hésite pas à appeler à la création d’une zone de libre-échange total entre la Tunisie et l’Algérie, demande une feuille de route au chef du gouvernement et de l’ANC (Assemblée constituante tunisienne) et se bat pour venir à bout de l’attentisme qui s’installe dans le pays.
Respectée pour sa pondération et son franc parler, elle a appelé à déclarer “l’état d’urgence de l’économie tunisienne“ et à la création d’un “haut comité national“ afin de la relancer. Une idée qu’elle défend encore aujourd’hui.
Wided Bouchamaoui réclame une occasion pour s’exprimer devant l’ANC et le peuple tunisien: «Je me dois de dire la vérité, toutes les vérités».