à la Havane (Photo : Adalberto Roque) |
[01/04/2013 14:54:16] LA HAVANE (AFP) Le bras de fer est engagé à Cuba entre les deux monnaies en circulation, le peso national et le peso convertible, mais nul ne sait combien de temps le match va durer, compte tenu de l’ampleur des problèmes que pose l’unification monétaire souhaitée par l’Etat.
Depuis vingt ans, les Cubains manient les deux monnaies. Ils reçoivent des salaires en peso national (CUP), mais s’efforcent d’accéder au peso convertible (CUC) qui sert à régler surtout les très nombreux produits d’importation circulant dans l’île.
Un CUC vaut 24 CUP, générant des déséquilibres énormes au sein de la population : un médecin de base est payé environ 500 CUP par mois (20 CUC), tandis qu’un mécanicien automobile indépendant pourra gagner jusqu’à 400 CUC (9.600 CUP) dans le même temps.
L’unification des deux monnaies est un objectif officiel du régime communiste cubain depuis deux ans.
“Il faut avancer vers l’unification monétaire, en tenant compte de la productivité du travail et de l’efficacité des mécanismes de distribution et de redistribution”, a affirmé dans son jargon prudent le tout-puissant Parti communiste de Cuba (PCC) à l’issue de son 6e congrès en avril 2011.
“L’unification des deux monnaies est prévue en 2013-2014, de manière que ne circule plus que le peso cubain”, a assuré récemment dans un entretien l’économiste Yailenis Mulet, du Centre d’Etudes de l’économie cubaine (CEEC) de l’Université de La Havane.
De fait, la nouvelle loi fiscale entrée en vigueur en janvier prévoit que tous les impôts soient payés en peso cubain. La loi “a anticipé de manière à contribuer à l’élimination de la double monnaie”, a expliqué à l’AFP Vladimir Requeiro, directeur au département fiscal du ministère de l’Economie.
Mais le noeud est véritablement gordien, tant l’imbrication de deux monnaies dans l’économie complique toutes les situations.
Tout est venu de la chute de l’empire soviétique, plongeant Cuba dans une crise économique sans précédent. Pour lui offrir un bol d’air, Fidel Castro a autorisé en août 1993 les envois d’argent des émigrés cubains et la circulation à Cuba du dollar, “monnaie de l’ennemi”. Le dollar valait alors 150 pesos.
Comme alternative au dollar, les autorités introduisent en décembre 1994 le “peso convertible”, le CUC, équivalent au billet vert. Les trois devises cohabitent jusqu’en octobre 2004, lorsque Fidel Castro, réagissant à de nouvelles sanctions américaines, retire le dollar de la circulation, imposant une taxe de 10% sur sa conversion et le dévaluant de 8% par rapport au CUC.
Entre-temps, le peso cubain était progressivement passé de 150 pour un dollar à 24 pour un CUC. En mars 2011, le président Raul Castro, qui a succédé à son frère malade en 2006, rétablit la parité CUC-dollar.
La circulation du CUC a permis l’apparition d’un “secteur émergent” proche de la source de devises – travailleurs indépendants, salariés du tourisme ou d’entreprises étrangères – mais aussi généré “une forte disparité sociale”, explique à l’AFP l’universitaire cubain Mauricio de Miranda, de l’université Javeriana de Cali, en Colombie.
Le casse-tête apparaît pour les comptes nationaux et les entreprises d’Etat, qui établissent leur comptabilité avec une parité CUC-CUP qui “distorsionne toute réalité économique”, souligne pour l’AFP l’économiste Pavel Vidal, ancien spécialiste monétaire de la CEEC et aujourd’hui enseignant à l’université de Cali.
“Cette distorsion de la mesure économique fausse toutes les décisions qui se prennent au niveau des entreprises et toute planification centralisée”, ajoute Pavel Vidal pour lequel “l’unification doit commencer à ce niveau avant d’atteindre la population”.
Plutôt qu’un KO, d’autres économistes recommandent une victoire à l’usure, par une baisse graduelle et contrôlée du taux de change entre CUP et CUC.
Mais pour cela, “il faut d’abord augmenter la production et la productivité locale”, juge l’économiste cubain Carmelo Mesa-Lago, de l’université de Pittsburgh aux Etats-Unis en reconnaissant que la fin de la dualité monétaire est “la réforme la plus difficile pour Raul Castro”.