Dans cet article, Guillaume Almeras, consultant international sur les questions de développement économique et financier, analyse sur le portail econostrum.info la situation des IDE en Tunisie, avec le titre on ne peut plus critique : «La désillusion des IDE : l’exemple tunisien“.
En introduction de son analyse, Almeras souligne que “depuis près de quinze ans, les investissements directs étrangers (IDE) passent pour être l’une des plus importantes, sinon la principale, clés du développement économique dans les pays méditerranéens. Favoriser les IDE aura été ainsi l’une des plus constantes et prioritaires tâches de ces pays, en contraste total avec l’attitude des pays émergents qui, lorsqu’ils ne les ont pas directement taxés (Thaïlande, Brésil), les ont toujours autorisés avec beaucoup de réserve (Corée du Sud, Chine, Inde). Mais en Méditerranée, rien n’aura pu entacher la faveur dont bénéficient les IDE“.
Ensuite, l’expert estime non-fondé de “distinguer les IDE productifs et les IDE spéculatifs, les véritables investissements des simples placements de portefeuille“. De là, il s’interroge sur qu’apportent ces derniers?“, puis répond : “Un afflux de devises immédiat certes, mais, à terme, une sortie nette de devises pour le pays d’accueil correspondant au rapatriement du capital et des intérêts ou d’intérêts supérieurs au capital de départ…“.
Almeras conclut à ce niveau que “nous ne pouvons donc parler simplement «d’IDE» et, s’il faut s’efforcer d’y voir un peu plus clair à cet égard, il faut se préparer à quelques surprises“. Et c’est la Tunisie qui “… offre un bon exemple, à suivre les chiffres publiés par son agence de promotion des investissements étrangers (FIPA)“.
En effet, ces chiffres montrent que les IDE (hors énergie) reçus par la Tunisie, de 2006 à 2012, “… n’ont créé que 59.048 emplois nets, très en deçà des besoins d’un pays connaissant un sous-emploi important“.
L’expert rappelle qu’“en 2012, les cinq principaux investisseurs en Tunisie ont été : le Qatar (48% des IDE), la France (24%), l’Italie (8%), l’Allemagne (6%), le Koweït (2%)“. Ceci étant, il constate que pour cette année, les investisseurs les plus créateurs d’emplois en Tunisie ce sont “la France (36% des emplois générés par des IDE), l’Italie (18%), l’Allemagne (16%), la Belgique (5%), la Suisse (3%)“ ; autrement dit, les fonds qataris n’ont pas créé grand-chose en Tunisie en termes d’emplois.
Cependant, précise que “nous pouvons mieux souligner qu’il n’existe pas de lien direct entre IDE, pris globalement, et création d’emplois qu’en comparant les pourcentages des deux précédentes listes“. Ainsi, à la question de savoir “quels pays sont aujourd’hui les plus présents en Tunisie à travers des sociétés leur appartenant en tout ou partie?“, Almeras répond c’est “la France (41% des entreprises à capitaux étrangers), l’Italie (24%), l’’Allemagne (7%), la Belgique (6%), le Royaume-Uni (2%)“. Et d’ajouter: “En termes productifs, ainsi, l’Allemagne ou la Belgique sont pour la Tunisie des investisseurs bien plus efficaces que le Qatar ou le Koweït“.
Remettre en question les orientations euro-méditerranéennes
A partir de là, l’expert évoque “… les pays qui ont le plus investi dans le secteur manufacturier tunisien depuis 2006“, qui sont la France (28% des IDE dans ce secteur), l’Italie (18%), le Royaume-Uni (14%), l’Espagne (9%), l’Allemagne (8%).
Concernant “les pays qui ont proportionnellement créé le plus d’emplois par Dinar investi“, dans les calculs de l’expert “ce sont, par ordre la Belgique (0,36 emploi pour 1.000 TND investis), le Luxembourg (0,23 emploi), les Pays-Bas (0,18 emploi), l’Allemagne (0,18 emploi) et les USA (0,17 emploi)“. Autant dire que “nous ne retrouvons dans cette liste aucun des pays les plus importants investisseurs en montant de 2006 à 2012 : EAU, France, Qatar, Italie. Par comparaison, l’Italie a créé 0,08 emploi par millier de TND investi et la France 0,06 emploi“.
“Dès lors, il faut aller plus loin et, au vu des éléments que nous venons de présenter, ne pas hésiter à mettre en question deux orientations qui ont été déterminantes dans le cadre des politiques euro-méditerranéennes depuis le Protocole de Barcelone“, souligne Almeras.
C’est ainsi que, dans le cadre des “Analyses nécessaires du flux des IDE“, l’expert indique que “parmi les investisseurs étrangers en Tunisie, la France et l’Italie sont deux poids lourds, mais, par rapport au volume de leurs investissements, elles ne sont pas les plus pourvoyeuses d’emplois. Et cela amène à reconsidérer ce qu’on pourrait appeler «le mythe des centres d’appels»: le Maghreb trouve des ancrages en Europe du Nord et son destin économique n’est peut-être pas de devenir principalement la banlieue industrielle de l’Europe du Sud. Les choses, en tous cas, ne peuvent être pensées de manière aussi simple“.
Là également, Almeras bat en brèche “l’idée d’une solution triangulaire : UE/pays méditerranéens/pays du Golfe“ qui, selon lui “pourrait bien n’être qu’un leurre“. En effet, “depuis 2006, l’Arabie saoudite a créé 6.160 emplois en Tunisie… Tandis que les importants apports de fonds qataris en 2012 ont correspondu pour l’essentiel à l’acquisition de 15% de Tunisiana“. Du coup, “… il est assez facile de comprendre que les fonds souverains du Golfe sont, par leur nature même d’instrument de gestion d’une richesse nationale, à la recherche de placements relativement sécurisés plus que d’investissements au sens industriel du terme“…
Conclusion générale de l’expert sur les IDE: “… nous ne pouvons qu’appeler à plus d’analyses face aux flux d’IDE, ainsi qu’à plus de circonspection face à des politiques de développement qui font d’eux le levier essentiel de la création d’emploi et de la croissance. Mais nous pouvons malheureusement douter que ces quelques remarques puissent même seulement entailler la faveur avec laquelle on regarde les IDE sur la Rive-Sud de la Méditerranée…“
Espérons que la FIPA, en particulier, et le gouvernement, en général, sauront lire attentivement cette analyse des IDE en Tunisie.
Source : econostrum.info