Le rapprochement entre la Banque de l’Habitat (BH), la Banque nationale agricole (BNA) et la Société tunisienne des banques (STB) pourrait éventuellement améliorer le classement des banques tunisiennes à l’échelle africaine et œuvrerait pour un meilleur accompagnement des opérateurs économiques à l’international… Mais sous quelles conditions et suivant quelle formule?
Selon une toute récente déclaration du gouverneur de la BCT, les banques publiques soumises à un full audit pourraient ou bien être fusionnées, garder leur statut actuel ou adopter la démarche PP pour être plus performantes. «Tout dépendra du full audit qui démarre ce mois-ci; il n’y a pas de décisions définitives prises les concernant. Ceci étant, je voudrais rappeler que la STB a réalisé de bons résultats en 2012, preuve que son cas n’est pas aussi désespéré qu’on veuille bien le faire croire».
«L’audit est une mesure normale, car il faut auditer pour mieux agir, explique un expert du secteur bancaire, mais plusieurs questions devraient, aujourd’hui, être posées quant aux sérieux risques qui pèseraient sur les banques en question si l’audit n’était pas mené comme il se doit. Car si son objectif est, comme prévu au démarrage, celui de déceler les failles au niveau de la gestion et de détecter d’éventuels dossiers de corruption ou des pratiques de malversations, nous n’avons pas besoin de payer des millions de dinars à des bureaux d’études pour une mission qui pourrait être convenablement menée et pour presque rien par l’Inspection générale des finances».
En fait, l’idée d’auditer et de fusionner les banques publiques ne date pas d’aujourd’hui, on y avait déjà mûrement réfléchi du temps de l’ancien régime. Une opération d’assainissement touchant surtout la STB qui présente les moins bons fondamentaux et qui est loin de respecter les ratios prudentiels était déjà à l’ordre du jour. Personne ne peut cependant effacer une ardoise de créances accrochées de l’ordre de 23% à fin octobre 2012. La STB, rappelons-le, souffre depuis des années des actifs compromis liés au secteur touristique qui s’élèvent à 49,7% du total, et de ceux industriels de l’ordre 28,4%. La période succédant au 14 janvier a été celle où la banque a sérieusement planché sur le développement de son taux de couverture passé de 43,1 à 47,97 en 2012.
La STB, la BNA, la BH et même la BFT font actuellement l’objet d’investigations judiciaires suite aux rapports remis à la justice par l’Inspection générale des finances.
Une meilleure gouvernance pour de meilleures performances
Il est impératif que les secteurs bancaire et financier en Tunisie passent à une autre phase en matière de gouvernance, de développement de leurs produits, d’implantation du réseau, et se muent vers plus de solidité et de maturité, et ce pour de meilleures performances. Ce qui n’est pas évident s’agissant des banques publiques évoluant dans un environnement hautement concurrentiel, soumises à des procédures administratives très lourdes et contraintes de revenir aux autorités de tutelle à la moindre action même lorsqu’il s’agit de l’ouverture d’une agence ou du lancement d’une campagne de communication.
On ne peut exiger de banques fonctionnant comme des administrations avec zéro réactivité d’être aussi performantes que des banques fonctionnant comme des sociétés privées. L’audit auquel sont soumises la BH, BNA et la STB relèverait certainement ces carences en matière de gouvernance.
«Si l’objectif d’auditer les banques publiques vise à restructurer le secteur, il importe de savoir ce qu’il faut dégager comme alternative supplémentaire par rapport à celles déjà connues. A savoir garder le statut quo, lancer une fusion entre les banques publiques, ou engager une privatisation partielle comme annoncées par le gouverneur de la BCT. Le plus important est d’auditer pour agir, d’autant plus que les résultats des audits sont presque annoncés car qui ne sait pas que ces banques ont ensemble besoins de 700 à 750 MDT de fonds propres supplémentaires? Ceci était notoirement connu et depuis 2000, date à laquelle la BDET et la BNDT ont été intégrées à la STB. La BDET était en faillite et la BNDT en quasi faillite avec un niveau d’actifs accrochés de l’ordre de 75% des engagements», explique l’expert qui rappelle qu’à l’époque, on a préféré se voiler la face et renier la faillite des banques dites de développement.
L’Etat tunisien avait, à l’époque, d’autres priorités que celles du renflouement des banques publiques. A ce propos, nous pouvons citer les infrastructures, la santé et l’éducation, dont malheureusement les cursus n’ont pas pu accompagner les nouveaux besoins du marché du travail, ce qui a engendré un chômage structurel illustrant également les limites du modèle économique suivi par la Tunisie à ce jour.
Quant aux banques de développement et quoiqu’on prétende, malgré tout ce que qu’on peut leur reprocher en matière de gouvernance, il faut bien reconnaître qu’elles avaient œuvré à la construction de l’économie du pays et au renforcement des secteurs touristique et industriel depuis l’indépendance.
Des efforts pour réhabiliter les banques de développement
Au-delà des réformes entamées, il y a quelques années plaidant pour exiger le respect des règles prudentielles de Bâle II, d’autres réformes ont été lancées visant la consolidation bancaire et une meilleure stabilité financière, le but ultime étant la régulation du risque systémique surtout après la crise financière mondiale de 2008. Toutefois, beaucoup reste à faire pour assurer de meilleures performances du secteur bancaire et financier.
D’autres banques de développement ont été reconverties en banques universelles pour leur éviter le sort de la BDET et la BNDT. D’autres mixtes, comme la BTK et la TQB, ont été privatisées.
Des projets avaient été élaborés pour la restructuration du secteur bancaire comprenant, outre la constitution d’un pool bancaire public composé de la STP, la BH et la BNA, un autre projet a concerné la constitution d’un pool tuniso-libyen regroupant la BTL et la NAIB, et un autre pour l’acquisition d’une banque à l’international, en l’occurrence la SONIBANK afin d’accompagner les exportateurs principalement en direction de l’Afrique.
Tous ces projets ont été stoppés net par des esprits malintentionnés, alors que dans le même temps les reculs des secteurs touristiques et industriels pesaient sur le dispositif bancaire. «Les actifs accrochés à l’indépendance de la Tunisie étaient de plus de 60%, ils n’étaient plus que 12% en 2010 dont 60% étaient couverts par des provisions, ce qui réduisait le risque final du secteur moins d’une année de déficit budgétaire. Ceci à supposer que les garanties, elles-mêmes, ne valent pas grand-chose», explique l’expert qui tire la sonnette d’alarme quant aux risques du full audit actuel: «A attendre les résultats du full audit pour trancher sur leur devenir, la STB et les autres pourraient atteindre le point du non retour au vu de la crise du secteur touristique dont l’impact sur la STB est catastrophique».
La STB, avait tenu à préciser Chedly Ayari, a réalisé de meilleures performances en 2012, mais en 2011, elle a également reporté le classement des actifs du secteur touristique: «Cela ne peut continuer indéfiniment, car le risque est que le niveau des actifs accrochés, qui était de 12% en 2010, atteigne 20% à fin 2013 et conduise à la diminution de son ratio de solvabilité». Ce que voudrait éviter le gouverneur de la BCT, en évoquant la possibilité d’une privatisation partielle des banques publiques.
Réaction de la Fédération nationale des banques et des institutions financières de l’UGTT: un rejet catégorique et de principe. Espérons que, dans leur souci de préserver la souveraineté financière des banques publiques, les syndicalistes ne les conduiront pas à la faillite tout comme nous osons espérer que les audits prônés sur les banques en question ne donnent le coup de grâce à des banques déjà clouées au pilori.