Avant la crise monétaire et économique internationale, déclenchée à la fin de 2007 à cause du shadow système bancaire et des créances toxiques, le FMI, appelé à la rescousse, exigeait un Plan d’Ajustement structurel (PAS). Aujourd’hui, le FMI, qui prétend avoir changé sa politique interventionniste et respecter les vœux et les attentes des pays en difficulté, impose pour les soutenir un Plan de Réformes structurelles.
Cela reviendrait éventuellement à dire que, pour intervenir, il faudrait d’abord que les experts du Fonds soient associés aux décisions des Etats concernés, siègent dans les Banques centrales et supervisent les réformes.
Dans un article publié au journal Le Grand Soir en août dernier, l’auteur Mustapha Stambouli expliquait: «Le FMI, sans le dire clairement, exige de la Tunisie un programme de réformes structurelles (PRS), cousin des PAS des années 80 et 90 pour redresser une économie à la dérive, des finances publiques en déficit continu et une balance des paiements qui accuse un redoutable recul pouvant remettre en cause l’indépendance du pays et l’exposer aux prédateurs golfiques».
A ces allégations reprises par nombres d’experts et journaux de la place, Chedly Ayari, gouverneur de la BCT, affirmait dans sa toute dernière conférence de presse, que la Tunisie ne se soumettrait pas aux exigences du FMI et que rien ne se fera aux dépens de son indépendance décisionnelle et de la souveraineté de son système financier.
Qui croire lorsque nous savons que le déficit budgétaire s’aggrave de plus en plus, se situant entre 8 et 9%? Et que pour que la Tunisie s’en sorte, il va falloir offrir des sacrifices comme ce fut le cas de la Grèce, du Portugal, de l’Argentine, du Brésil ou encore de l’Afrique du Sud.
Le risque d’une domination brutale du FMI sur les politiques financières et économiques d’une Tunisie dans le besoin n’est pas à écarter, les exemples en sont légion. Un changement démocratique serait le dernier des soucis du Fonds sauf si cela va dans le sens de préserver ses propres intérêts. Il faudrait rappeler dans ce même ordre des choses qu’aucune décision n’est prise par le FMI sans l’aval des Etats-Unis qui y détiennent une minorité de blocage.
Pour aider les pays nécessiteux, le FMI doit donc non seulement avoir l’aval de l’Oncle Sam mais les engager à adopter des réformes qui pourraient être douloureuses pour les classes moyennes et renforcer la précarité et la paupérisation des catégories sociales pauvres.
En ce qui concerne la Tunisie, et outre l’augmentation des prix des carburants, d’autres toucheraient la réduction des effectifs de la fonction publique, la privatisation des grandes entreprises publiques -fleurons de l’économie nationale-, la cession de parts dans des établissements bancaires y compris publics à des investisseurs étrangers. Il faut relever dans ce cadre que les nationaux n’ont pas les moyens d’entrer en concurrence avec les géants de la finance internationale et même régionale, ce qui reviendrait à dire que le système financier du pays pourrait être dirigé de l’extérieur…
«Nous estimons que l’approche avec le FMI doit se faire dans le sens d’une co-construction impliquant les experts nationaux, les ONG et les partenaires sociaux pour que toute réforme soit adéquate avec les intérêts nationaux. Nous sommes conscients que le modèle économique de la Tunisie est obsolète, les réformes qui devraient être engagées doivent être en harmonie avec un modèle économique censé répondre aux exigences de l’heure et au nouveau contexte socio-économique et politique du pays», considère Mouez Joudi, expert économique.
Mais ce qui attire le plus l’attention dans la situation de la Tunisie aujourd’hui, c’est l’ambiguïté politique, l’absence de visibilité et d’une feuille de route claire ainsi que les carences sécuritaires remarquables et remarquées à l’échelle internationale. C’est ce que n’ont pas manqué de relever des experts sécuritaires et avec eux des représentants du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque européenne d’investissement (BEE) dans une réunion récente à Tunis.
L’Etat tunisien serait-il en déliquescence?
Le FMI qui se proposait «d’aider» la Tunisie serait, paraît-il, en train de revoir ses cartes et pour cause. Les informations qu’il entend de part et d’autre ne sont pas des plus rassurantes. Aux dernières nouvelles, on parle d’un contexte sécuritaire qui va en s’aggravant, d’un Etat qui ne communique pas dans le même langage que ses interlocuteurs et partenaires internationaux. «Nous avons l’impression qu’ils n’ont pas la même perception que nous de la réalité du terrain dans leur propre pays. Ils sont dans l’ignorance totale des notions et concepts économiques et sécuritaires. La construction du budget de l’Etat n’est pas clair, ni d’ailleurs les programmes d’investissement. Et pire que tout, les projets structurants ou ceux pouvant créer des richesses paraissent hypothétiques tant ils se basent sur des hypothèses de rentrées de fonds et non sur des promesses fermes adossées à des conventions ou des accords signés et des projets étudiés et adoptés. Le budget de l’Etat tunisien est ce que nous pouvons baptiser “le Budget des bonnes intentions“, sans oublier le fait que nous ne savons plus si les emprunts contractés servent à la création des richesses ou à la consommation courante», déplore un observateur étranger.
L’administration fait de la résistance et pour cause, les décisions qui arrivent d’en haut sont parfois dénuées de toute base légale ou juridique et marquées d’un amateurisme qui rappelle le tout récent parachutage des nouveaux dirigeants dans les sphères décisionnelles de l’Etat. Ajoutez à cela une ambiance de suspicion nourrie par une chasse aux sorcières qui incite les fonctionnaires à être très prudents et n’entreprendre aucune action sans une couverture légale.
Sur le plan sécuritaire, les régions frontalières inquiètent énormément les partenaires stratégiques de la Tunisie: «Elles sont devenues des lieux privilégiés pour des trafics de tous genres, armes, drogues, traite d’humains, immigration illégale, contrebande tous azimuts, presque des zones franches pour une criminalité transnationale».
Le ministère de l’Intérieur paraît débordé, les opérationnels essaieraient de réagir mais sont trop souvent confrontés à des analyses approximatives et peu fiables au vu des différents bouleversements vécus par le ministère en question. La qualité du renseignement et de l’analyse aurait même changé de lieux estiment des personnes assez bien informées.
Le ministère de la Justice est, pour sa part, loin de donner l’exemple en matière de neutralité et d’indépendance de la magistrature et du parquet. Le conflit opposant le parquet à la Cour de cassation illustré par le refus de la relaxe de Sami Fehri a soulevé l’indignation des observateurs internationaux qui perdent confiance dans les institutions tunisiennes, la justice en premier. Et cela n’est certainement pas bon pour les affaires…
En résumé, la gouvernance financière, économique et sécuritaire aujourd’hui laisse réellement à désirer, ce qui, selon certains, mettrait le FMI dans l’embarras pour s’engager avec la Tunisie dans des prêts importants. La population, elle, est de plus en plus marquée par ses nombreuses précarités, ce qui ne rassure pas quant à une stabilité possible dans un proche avenir et spécialement dans les régions.
Pendant ce temps, sur le terrain, nous ne voyons pas beaucoup de réalisations se concrétiser, mise à part, peut-être, la remise sur la table de la question des dédommagements pour les anciens prisonniers politiques d’Ennahdha? En fait, «Al Ghanima», c’est une culture dont il est très difficile de se défaire, le Cheikh y veillera d’ailleurs…