Un navire en construction au port de Mandvi le 28 novembre 2012 (Photo : Sam Panthaky) |
[17/04/2013 11:06:10] MANDVI (Inde) (AFP) Dans le port de Mandvi, dans l’ouest de l’Inde, Shailesh Madiyar scrute désespérément le chantier naval, autrefois rempli de carcasses de bateaux en construction. Aujourd’hui plus rien n’accroche son regard.
Les attaques des pirates somaliens contre les navires de commerce ont provoqué indirectement la lente agonie de l’industrie navale qui était florissante depuis des siècles sur les côtes occidentales de l’Inde.
Elles ont forcé l’Inde à restreindre la navigation de certains bateaux pris pour cibles par les pirates, asphyxiant le commerce séculaire qui faisait vivre cette bourgade assoupie du Gujarat et désespérant marchands et constructeurs.
“Il y a encore quatre ans, on pouvait compter jusqu’à vingt bateaux en cours de construction en même temps. Maintenant, il n’y en a plus que deux. Et seuls cinq ou six navires sont construits chaque année”, se lamente Shailesh Madiyar, membre de l’association des constructeurs de bateaux à Mandvi.
Le chantier naval de Mandvi le 27 novembre 2012 (Photo : Sam Panthaky) |
Une dizaine de petits navires à voile traditionnels à moitié construits gisent sur le flanc, abandonnés comme des squelettes dans un cimetière marin.
A Mandvi, située sur les rives du fleuve Rukmavati qui se jette dans la mer d’Arabie, l’industrie navale et la marine marchande prospéraient main dans la main depuis des lustres.
Les deux industries ont été frappées par une interdiction de navigation de certains bateaux dans les eaux au large de la Somalie qui les prive d’accès aux lucratives destinations commerciales de la côte africaine.
Cette mesure prise en mars 2010 par la Direction générale de la navigation (DGS) réagissait à la capture par des pirates, en quelques jours, de huit embarcations venant du Gujarat, avec à leur bord près de 100 membres d’équipage indiens.
Les “bateaux à voile motorisés”, ou boutres, sont désormais interdits de naviguer au sud d’Oman, bloquant les échanges commerciaux vers la Somalie mais aussi vers le Kenya, la Tanzanie ou le Yémen.
Proie facile des pirates
à Mandvi le 28 novembre 2012 (Photo : Sam Panthaky) |
“Pas de Somalie, pas de commerce. Cette interdiction est un désastre pour nous”, lâche Musabhai Sameja, dont la famille vit de l’industrie navale depuis trois générations.
“La plupart des professionnels de la marine marchande ont vu leur revenus diminuer de moitié”, souligne-t-il, se plaignant aussi de voir se tarir les investissements pour la construction de nouveaux bateaux.
Pendant quatre siècles, des générations d’artisans locaux ont construit ces bateaux prisés pour le transport de marchandises. Ils sillonnaient les très anciennes routes maritimes de l’océan Indien qui relient l’Asie au Proche-Orient et à l’Afrique.
Ces bateaux maniables pouvaient ainsi ravitailler en riz et farine la Somalie, dont le très long littoral comporte peu de ports pouvant accueillir des cargos.
Mais ces embarcations, d’une capacité moyenne de 1.000 tonnes, sont devenues au fil du temps une proie facile pour les pirates opérant dans l’un des couloirs de navigation les plus fréquentés au monde.
Beaucoup plus petits que les tankers et manquant d’équipements de détection sophistiqués, les boutres sont faciles à capturer. Ils sont ensuite souvent utilisés comme bateau-mère pour attaquer des bateaux plus imposants.
Selon Musabhai Sameja, les commerçants sont prêts à prendre le risque de repartir en mer, et auraient préféré recourir à des gardes de sécurité privés.
En attendant, les restrictions indiennes profitent aux autres, en particulier aux Emirats arabes unis, dont le commerce avec la Somalie prospère.
Selon Edward Simpson, un expert à l’Ecole d’études orientales et africaines de Londres, les chantiers à Dubaï fabriquent des bateaux en bois dotés d’une capacité deux fois plus grande que les boutres de Mandvi.
Certaines familles ont déplacé leurs activités de Mandvi aux Emirats arabes unis pour contourner l’interdiction de naviguer. D’autres ont carrément jeter l’éponge.
“Il n’y a plus qu’une dizaine de familles à travailler dans le secteur. Avant elles étaient trente”, lâche Saleh Mohammed, qui a vendu son dernier bateau il y a un an après avoir tenté de développer les affaires avec l’Iran ou l’Irak.
Mais dans ces pays dotés de vastes ports, il était en compétition avec des cargos équipés de climatisation pour les biens périssables. “J’ai laissé tomber et j’ai vendu”, conclut-il.