Etats-Unis : des plaignants nigérians contre Shell déboutés par la Cour suprême

photo_1366224548166-1-1.jpg
un site de la compagnie Shell au Nigeria (Photo : Pius Utomi Ekpei)

[17/04/2013 18:50:56] WASHINGTON (AFP) La Cour suprême des Etats-Unis a décidé mercredi que la justice américaine ne pouvait pas poursuivre des entreprises suspectées de violations des droits de l’homme commises à l’étranger, une victoire pour Shell, accusé de complicité de torture par des Nigérians.

“Les tyrans peuvent se réjouir aujourd’hui, c’est un revers grave pour leurs victimes qui voient souvent les Etats-Unis comme un espoir de justice quand tout a échoué ailleurs. Que vont-elles faire maintenant?”, a fustigé Elisa Massimino, présidente de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights First.

A l’unanimité, les neuf juges de la haute Cour ont rejeté une plainte collective de douze plaignants vivant aux Etats-Unis, des proches de Nigérians exécutés par l’ancien gouvernement militaire de Lagos, qui accusent Shell de “complicité dans des atteintes aux droits de l’homme commises contre eux en pays Ogoni, dans le delta du Niger entre 1992 et 1995”.

Ces atteintes comprennent des “actes de torture, des exécutions extra-judiciaires et des crimes contre l’humanité”, selon la plainte déposée devant la Cour suprême.

Dans cette affaire, pour laquelle deux audiences avaient eu lieu en février et octobre 2012, les plaignants avaient invoqué la loi américaine dite Alien Tort Statute (ATS), vieille de deux siècles. Ce texte autorise les ressortissants étrangers à engager des poursuites devant les tribunaux américains pour des infractions au droit international ou à un traité signé par Washington.

“Il n’y a aucune indication d’extraterritorialité ici”, a écrit le président de la Cour suprême, John Roberts: “Les entreprises sont souvent présentes dans de nombreux pays et ce serait aller trop loin de dire que la seule présence d’une entreprise (aux Etats-Unis) suffit” pour dépasser nos frontières.

“Si le Congrès en avait voulu autrement, une loi plus précise que l’ATS serait nécessaire”, a-t-il ajouté, estimant que “cette présomption sert à se protéger contre des accrochages” diplomatiques “qui pourraient se solder par une discorde internationale”.

“Gardiens de la morale” du monde

Si cette décision a été prise à l’unanimité, les quatre juges progressistes ne sont pas d’accord avec son raisonnement, préférant, selon le juge Stephen Breyer, s’appuyer sur le principe édicté lors du vote de la loi qu'”aucun pays n’a jamais prétendu représenter les +custos morum+ (gardiens de la morale) du monde entier”.

Mais la porte reste ouverte pour d’autres “graves violations des principes du droit international protégeant les personnes”, a tenu à préciser le juge Anthony Kennedy, soulignant que la question de l’extraterritorialité pourrait alors se reposer.

La haute Cour a conclu qu’en votant la loi, “le Congrès n’avait pas fait des Etats-Unis un tribunal international pour toutes les atteintes aux droits de l’homme à travers le monde”, a commenté le professeur de droit Eugene Kontorovich.

Les organisations des droits de l’homme, intervenues en soutien des plaignants dans la procédure, se sont dites immédiatement “profondément troublées” et “déçues” par cette décision qui “ferme la porte des tribunaux aux victimes de crimes de guerre et de tortures” ainsi que des “atrocités de masse commises à l’étranger dont les auteurs cherchent refuge aux Etats-Unis”.

“Au cours des trois dernières décennies, la loi Alien Tort Statute brillait comme une lumière sur la scène mondiale des violations des droits de l’homme et servait de signal aux victimes qui cherchaient justice”, selon le Centre de défense des droits constitutionnels (CCR).

Mais cette décision n’empêchera pas “d’autres accusés, y compris des entreprises, dont les actions touchent et concernent le territoire des Etats-Unis avec suffisamment de force” d’être tenus pour responsables. “Ce jugement ne leur procure pas d’immunité”, a prévenu le CCR.