«Dans cette période de transition délicate pour la Tunisie, le FIAF est fier de soutenir et célébrer la création artistique qui fleurit dans le sillage du Printemps arabe», a déclaré Marie-Monique Steckel, présidente du Festival du French Institute Alliance Française (FIAF) qui organise chaque année le «World Nomad» un festival transculturel, qui célèbre à chaque fois un pays francophone. L’occasion est, cette année, offerte aux artistes tunisiens de se faire valoir et prévaloir d’une culture millénaire dans la plus grande ville des Etats-Unis et l’une des plus importantes au monde : New York.
La délégation des artistes, créatrices et créateurs tunisiens qui exposeront leurs œuvres du 2 au 26 mai à New York pourront offrir au public new-yorkais l’image d’une Tunisie ouverte, tolérante, progressiste, imaginative, innovatrice, créatrice, racée et civilisée. Pas forcément celle d’un printemps arabe mis sur le marché des révolutions prétendument génératrices de démocraties par des lobbys occidentaux et particulièrement américains et dont les objectifs initiaux seraient autres… Un printemps qui virerait plutôt à l’automne pour ceux qui le subissent…
Exposer les artistes et l’Art tunisien dans une galerie en plein Manhattan à New York était super, mais ce n’est pas ce qu’ambitionnait Leila Souissi, la commissaire de l’exposition qui a déclaré dans une conférence de presse organisée à l’occasion que «révéler notre culture dans une galerie, c’est bien, mais en imprégner les rues de New York, c’est encore mieux. La manifestation World Nomads a franchi ses frontières habituelles, celles d’une galerie d’art pour investir d’autres espaces : les avenues new-yorkaises».
Ne pas se limiter aux expositions des artistes plasticiens mais s’étendre à d’autres, celles des photographes, ceux et celles qui ont vécu et immortalisé le soulèvement du peuple tunisien et «l’after revolution», c’est ce qu’à voulu Madame la Commissaire, elle a réussi par l’avoir : la White Box, l’une des galeries les plus engagées de New York fut donc associée au Festival de FIAF et abritera les expositions des photographes tunisiens.
Tout au long des exhibitions toutes galeries d’arts confondues et pendant trois semaines, des conférences seront organisées, animées par Yamina Benguigui, ministre française déléguée à la Francophonie. Les discussions auxquelles prendront part nombre de femmes tunisiennes tourneront autour de l’art et de la politique ainsi que des femmes tunisiennes et la société.
Le problème féminin se pose de plus en plus depuis le 14 janvier : «Nous voulons, nous femmes, dire aux Américains que nous tenons à une Tunisie multiple, aimante qui admet la différence et repousse la haine. Les œuvres de nos artistes sont extraordinaires et elles expriment mieux que tout le reste nos inquiétudes. Monia Siala, l’une de nos exposantes a conçu une vidéo où l’on voit les couches de noir de son visage complètement voilée, tomber les unes après les autres pour laisser apparaître ses beaux traits. Une vidéo sollicitée par une télévision new-yorkaise et primée à Berlin».
Les taggers tunisiens, ces nouveaux porte-drapeaux de l’expression contestataire comme dans nombre de pays (Amérique latine, US ou européens) ont été également de la partie : «Je ne pouvais pas les ignorer ou les écarter. Cet art rebelle a vu le jour à Harlem où les jeunes disaient et peignaient leurs souffrances sur les murs. C’était leur rendre hommage que de leur montrer ce que nos jeunes taggers ont fait des années après».
Ils seront deux à exposer dans une galerie de Brooklyn partant de l’iconique photo de «Dégage». Ce sont Jay Z et El Seed, un jeune d’une trentaine d’année qui vient d’offrir à Gabès l’un des plus beaux minarets de la Tunisie couverts de calligraphies sur 50 m inspirées de l’écriture soufie d’Ibnou Al Arabi. «Il nous renvoie à travers ses créations à ce grand soufi dont les textes présentent un ordonnancement hautement esthétique. Et il en a couvert des murs de ces calligraphies. Il vient d’achever le revêtement des 800 m des façades d’une avenue à Charga aux Emirats arabes unis. Louis Vuitton, envoûté par les créations d’El Seed, lui a proposé d’apposer sur ses foulards en soie les beaux motifs calligraphiques des écritures d’Ibnou Al Arabi mais pas seulement. Des valises en seront également parées. En collection réduite, elles seront vendues aux enchères chez Sotheby’s. Une partie des bénéfices reviendra à des associations caritatives tunisiennes. En France, ces dames qui porteront les foulards évoquant les méditations d’Ibnou Al Arabi ne le sauront même pas…».
El Seed travaillera avec le fondateur du 5Pointz, Jonathan Cohen, plus connu sous le nom de Meres One. Le 5Pointz est un lieu mythique du Street art new-yorkais tenu par des artistes tendance depuis plus de 20 ans.
«Parler à l’occasion de notre présence à New York d’une révolution accomplie, c’est trop dire, a tenu à préciser Leila Souissi, car pour moi, la révolution est en marche et ce sont nos artistes qui raconteront la mue de la Tunisie vers la démocratie. C’est pour cette raison d’ailleurs que j’ai demandé que le R de révolution soit écrit à l’envers, que sa courbe soit plutôt à gauche qu’à droite. Je ne pouvais cautionner une œuvre non encore accomplie…».
Pendant longtemps, on a cru que tout n’était que politique, on se rend de plus en plus compte que tout est autant culturel qu’économique. A New York, au mois de mai, c’est une Tunisie qui va raconter son printemps à elle et pas celui mis en scène et promu par d’autres. La culture, qui revêtait un rôle marginal dans le développement des débats entre les politiques de développement des institutions internationales et les bailleurs de fonds, est de plus en plus perçue comme le meilleur canal facilitant la communication entre les peuples.
Dernière priorité dans les longues listes des programmes socio-économiques et politiques, ses lignes de financement sont toujours insuffisantes alors même que l’on ne peut plus parler de développement sans appréhender une approche culturelle.
C’est la deuxième fois que la Tunisie s’expose à New York. La première exposition d’une telle importance a été organisée en 1956 par Abdelaziz El Gorgi au siège des Nations unies. Elle avait été une occasion pour mettre en exergue la diversité et la pluralité de la Tunisie à travers les croquis de personnages issus de communautés différentes coexistant au sein d’une même entité et une même patrie. A New York, on avait alors découvert la plus belle collection de portraits des rabbins de la synagogue de Djerba : «Une pure merveille».
L’art revêt une dimension civilisationnelle indiscutable, peut-être que la World Nomads Tunisia permettra aux New-yorkais de découvrir une part de notre identité à travers une partie de notre civilisation. Ils feront ainsi la différence entre nous et les autres…