Moins inquisiteur, le FMI fermerait les yeux sur les déficits jumeaux et passe l’éponge sur l’inflation et voudrait conforter la résilience de l’économie tunisienne face aux chocs extérieurs. Le crédit précaution, c’est pas joué mais ça se discute. Toutefois, le FMI voudrait qu’au plus vite on s’engage à réformer. La question est de savoir quoi réformer, au juste.
Chedly Ayari a su «scénariser», avec adresse, la conférence de presse conjointe du 16 avril. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) s’est mis en posture de maître du jeu. De la sorte, il pouvait esquiver les questions et se défausser sur les ailes en distribuant le ballon entre Amine Mati, représentant du FMI, et Elyès Fakhfakh, ministre des Finances, et plus tard avec Ridha Saïdi, ministre conseiller chargé des Affaires économiques.
Le patron de la BCT a cherché à bétonner, affirmant, tout de go, que le Fonds monétaire international ne va pas nous dicter un deuxième Plan d’Ajustement Structurel. Le pays est encore à la recherche d’un nouveau modèle économique, ce qui retarde le retour d’une croissance forte, mais l’on dispose d’un matelas de réserves de change de plus de 100 jours. La situation serait donc gênante mais pas désespérée. Et d’ajouter que la Tunisie n’aliénera pas sa souveraineté.
M. Ayari a verrouillé ainsi le débat autour des grandes questions génériques, éludant le débat technique. La Tunisie, assénait-il, sait mettre de l’ordre dans son économie de sa propre initiative. Et il a glissé que le crédit de précaution est destiné à renforcer notre résilience pour faire face aux retombées de la panne économique de notre premier partenaire commercial, l’UE, plus que pour réparer notre dérapage budgétaire.
Mais les conditions du crédit de précaution seront-elles plus clémentes que celles du PAS?
L’autre visage du FMI
Prenant la suite, Amin Mati, ne pouvant déjuger le gouverneur, s’est mis, à son tour, à relativiser les difficultés économiques du moment…
En substance, il pariait lui aussi sur une embellie, toute proche. Il a, bien entendu, ajouté que nous ne sommes pas à la veille d’un PAS, après tout, avec 100 jours de réserve en poche, les caisses ne sont pas vides. Même qu’il trouvait que la reprise est là, en comparaison de 2011, alors que 2010 est plus indiquée pour servir d’année de base. Qu’importe! Il estime que la reprise est là, sans voir que la croissance reste molle. Il espère que la croissance serait inclusive, si le pays sait attirer les investissements à haute valeur ajoutée.
Certainement que Amin Mati n’est pas au courant que Latécoère se retire et que Bombardier nous a préféré un autre pays de la région. Il considère que même si l’inflation est à 6%, les tensions inflationnistes sont sous contrôle.
Il n’a pas appris que les autorités ont décidé du gel de certains prix. Et il a laissé sous-entendre que le système bancaire, tout en étant en difficulté, est rattrapable et que beaucoup d’options étaient à notre portée pour le renforcer.
Bien entendu, l’absence de feuille de route est contrariante mais que rapidement le pays saurait s’en doter. Il en était presque à s’excuser de ne pouvoir délivrer un accord de principe mais il sous-entend qu’il défendra le dossier tunisien, au conseil du mois de mai et que c’est presque «In the pocket». On pourrait même commencer à tirer dès le mois de septembre.
D’ailleurs, Elyés Fakhfakh s’en accommoderait bien. L’ANC n’ayant pas encore statué sur la réglementation de la finance islamique, l’émission des sukuk serait décalée. Le déblocage du crédit précaution dès le mois de septembre ferait la soudure. Et le ministre des Finances de nous glisser qu’une loi de finances complémentaires pourrait survenir, prochainement.
Certaines «études» seraient en cours qui pourraient déboucher sur certaines solutions de nature à soulager le budget. Laconique, il annonce que des réformes suivraient.
Comment réformer? Là est le cœur du sujet
Ira-t-on vers la vérité des prix? Mystère! On en a, cependant, parlé en termes allusifs. L’allocation des ressources de la Caisse Générale de Compensation serait rationnalisée. Allez comprendre. Va-t-on oui ou non toucher aux prix des produits subventionnés? Comment reconfigurer le budget, si on ne taille pas des coupes dans la CGC? On a une demi-réponse. On serait en train de travailler à la mise au point de mécanismes qui puissent cibler les bénéficiaires des subventions, c’est-à-dire les économiquement faibles. Ce ne sera pas à l’initiative du FMI mais cela procédera de notre propre volonté de réformer.
Il ne faudrait pas négliger la poussée des revendications qui pourraient naître des «ajustements sociaux» des prix.
Par ailleurs, de toutes les options évoquées pour le renforcement des banques, on ne semble pas privilégier la solution qui consisterait à renforcer la participation publique. Il y a donc un parfum de privatisation dans l’air. Sauver la face, c’est bien. Esquiver la réalité n’est peut-être pas le meilleur des remèdes.
Faire des gammes sur la variabilité du taux de croissance, on connaît la musique. Occulter l’objet du crédit, quelle idée. Pourquoi laisser croire qu’il pourrait doper l’investissement public, alors qu’il est plus plausible qu’il aille couvrir les dépenses budgétaires? La vérité finira toujours par nous rattraper.
L’opinion doit savoir que les comptes sont serrés, sinon comment pourrait-elle accepter l’horizon d’austérité, demain? Nous avons fait la sourde oreille à l’autre son de cloche, celui des agences de notation. Elles ne versent pas dans l’optimisme, pour leur part. Et elles agitent des risques dont on ne veut pas parler ici, mais il serait bien d’en tenir compte.
Lors des “Journées de l’entreprise“ au mois de décembre dernier, la présidente de l’UTICA avait appelé, en présence de Chedly Ayari, à décréter l’urgence économique. Mais le gouverneur, qui rentrait d’une visite en Asie, où il assistait à un Conseil de la BM, avait souligné que de nombreux investisseurs internationaux vont ruer sur la Tunisie. Bon, pour l’instant on n’est même pas assuré du concoure du FMI.