Investir dans un projet est l’une des ambitions de milliers de jeunes tunisiens. Qui n’a pas un jour rêvé d’être son propre patron et de gérer sa propre entreprise? La réalité est loin d’être rose puisque le premier handicap, et pas des moindres, à la réalisation de ce rêve est bel et bien le financement et surtout via les banques. La relation dirigeant/banquier n’est pas évidente à entretenir puisqu’elle renferme son lot de haut et de bas.
Une conférence autour de ce thème intitulé «la relation dirigeant/banquier : État des lieux et perspectives», a été organisée à Sfax, jeudi 11 avril 2013, à l’initiative du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (section de Sfax) en collaboration avec la représentation de Konrad Adenauer-Stiftung à Tunis.
État des lieux de la relation dirigeant/banquier
Un état des lieux a été dressé au cours de cette conférence suite à la projection d’un film relatif à des témoignages de dirigeants et de banquiers. Les critiques à l’encontre des banques ont fusé de toute part. En effet, les dirigeants reprochent aux banquiers de ne pas jouer leur rôle de suivi et d’accompagnement aux entreprises, mais aussi d’entretenir une attitude méfiante envers les promoteurs surtout les plus jeunes qui ont du mal à faire passer leurs idées aux banquiers.
Ils accusent ces derniers de ne pas étudier le projet et d’exiger l’avancement d’une garantie au détriment de l’originalité du projet. Ils qualifient alors la relation avec les banquiers d’un rapport de force plutôt que d’un partenariat en mettant l’accent sur les lourdeurs administratives ainsi que la prise de décision non immédiate due à l’absence de décentralisation nuisible au projet.
En réponse à toutes ces critiques, Habib Ben Saâd, président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF) et PDG de la BT (banque de Tunisie), a tout d’abord rappelé que le secteur bancaire a apporté un soutien massif à l’économie tunisienne (75% des engagements du secteur bancaire sont constitués par des crédits au profit des entreprises), et ce même après la révolution malgré les difficultés que traverse le secteur bancaire.
Selon lui, le partenariat banquier/dirigeant nécessite une transparence dans la communication de l’information qui n’est pas toujours respectée par l’entreprise. Il a néanmoins affirmé que le système d’exigence de garanties sur les crédits octroyés est une réalité qui doit disparaître puisqu’il fait perdre des opportunités de projets performants.
La solution serait alors de recruter un personnel apte à apprécier le projet, ce qui contribuera à diminuer la prise de risque par la banque puisqu’elle soutiendra un projet qui, à coup sûr, sera rentable.
En ce qui concerne les difficultés de financement des jeunes promoteurs, M. Ben Saâd a mis l’accent sur l’existence de divers mécanismes de financement pouvant aider les jeunes promoteurs tunisiens, tout en soulignant le fait que, parfois, les projets présentés peuvent être des squelettiques, non étudiés, ce qui conduit à un refus de financement.
Anouar Triki, président de l’Union régionale de l’industrie du commerce et de l’artisanat de Sfax, dressera, à son tour, l’état des lieux de la relation dirigeant/banquier du point de vue de l’entreprise. L’entreprise, aujourd’hui, se trouve face à un environnement économique difficile (augmentation du coût de la matière première, augmentation des salaires, présence d’une concurrence déloyale suite au développement du secteur informel, diminution des ventes, etc.). L’entreprise a toujours entretenu une relation étroite avec la banque surtout dans un moment difficile comme aujourd’hui où les établissements bancaires doivent s’impliquer plus en partageant les risques et en jouant ainsi le rôle de levier de croissance et de moyen de financement tant nécessaire pour soutenir le développement des entreprises.
Perspectives et recommandations
Jaafar Khatteche, PDG de la BNA, a présenté la vision du banquier quant aux perspectives de la relation dirigeant/banquier. Il a souligné que cette relation est tendue à cause de la volonté des promoteurs à financer les fonds propres par l’endettement. Ceci nécessite le renforcement du financement alternatif en vue de minimiser la dette. En effet, il est nécessaire de repenser le financement des fonds propres et des crédits dans la mesure où il existe plusieurs mécanismes de financement sous-exploités qui peuvent aider les promoteurs et surtout les plus jeunes d’entre eux en leur offrant un contrôle interne orienté vers la réussite du projet.
De plus, le banquier doit être un partenaire de l’entreprise en étant réactif mais aussi en lui offrant le soutien technique et moral nécessaire, ce qui requiert plus de transparence (une attitude volontariste de la part des dirigeants) dans le but de faciliter le rôle de la banque.
Quant à Nabil Triki, PDG du groupe Triki, il a présenté la vision du dirigeant quant aux perspectives de la relation dirigeant/banquier. Une vision qui repose sur deux volets: un volet technique nécessitant l’implication du promoteur dans l’élaboration d’un business plan réfléchi dans la mesure où il représente l’une des clés de la réussite de son projet, et un volet relationnel qui donne lieu à l’entretien d’une relation périodique entre le dirigeant et le banquier et la nécessité d’anticiper afin de trouver les solutions adéquates au préalable.
Le dirigeant doit impressionner le banquier et établir une relation de confiance préparant ainsi l’instauration d’un partenariat solide et gagnant.
Il souligne par ailleurs la nécessité de réfléchir à renforcer le rôle de la Caisse de dépôt et de consignation (CDC) qui peut être un allié parfait pour les jeunes promoteurs.
Notons parmi les recommandations qui ont été proposées lors de cette conférence, celle de Mme Abbass, universitaire, selon laquelle il est possible de créer un observatoire des entreprises à la tunisienne dans le but d’aider les banques et les entreprises à trouver des solutions adéquates.
Aujourd’hui, en matière de création d’emploi, on se trouve face à un secteur public qui ne peut pas palier au chômage et un secteur privé qui souffre d’un climat instable. Il est temps de miser sur l’entreprenariat et l’esprit d’initiative des jeunes promoteurs puisqu’un projet réussi ne peut qu’engendrer une employabilité plus importante. Une culture entrepreneuriale est sûrement une priorité à instaurer et à vulgariser auprès des jeunes dans la mesure où elle sera un tremplin permettant d’instaurer un climat de prise d’initiative, de connaissance des mécanismes de financement à même de réussir le projet et ainsi garantir une relation qui repose sur de bonnes bases avec son banquier.
En fin de compte, c’est une question de mentalité et de volonté dans la mesure où tant que ce climat de peur et de non-confiance règne entre les deux parties, la relation dirigeant/banquier n’évoluera pas. Il est donc nécessaire de parler d’une relation de partenariat et non de simple financement entre le banquier et le dirigeant, mais faut-il tout d’abord repenser le rôle aussi bien des entreprises que celui des banques en vue d’une relance économique postrévolutionnaire.