[21/04/2013 10:04:36] ATHENES (AFP) Trois mères allaitant leurs nourrissons, trois autres bébés endormis: l’heure n’est pas à la presse à la maternité athénienne Lito, où beaucoup de lits restent vides, attestant du déficit croissant des naissances dans un pays frappé par une grave crise économique.
“Les allocations ont été coupées, le coût de la vie est monté en flèche, les salaires sont à la baisse et il y a une grande incertitude”, détaille Leonidas Papadopoulos, qui dirige cette clinique privée, une des grandes maternités de la capitale.
“Les couples y réfléchissent désormais à deux fois, même pour un premier enfant (…) il pourrait y avoir 10.000 naissances de moins cette année”, affirme-t-il, invoquant des estimations officielles et d’experts.
Les naissances ont déjà reculé de 118.000 en 2008 à 101.000 en 2012, note cet obstétricien, déplorant qu'”à ce rythme, la Grèce va se réduire à vue d’oeil en quelques années”.
Selon l’Agence statistique grecque, Elstat, le pays souffre d’un déficit démographique au moins aussi grave que celui creusant ses comptes publics: le taux de fertilité est passé de 2,33 enfants par femme en 1975 à 1,4 en 2011, alors qu’un taux de 2,07 est nécessaire pour assurer le renouvellement de la population.
Cela pourrait ramener à 9,7 millions la population grecque en 2050, contre 11,29 millions en 2012, selon les projections d’Elstat.
é à Athènes, le 12 avril 2013 (Photo : Louisa Gouliamaki) |
A titre de comparaison, les leaders européens de la natalité, comme l’Irlande ou la France, affichaient respectivement en 2012 des taux de 2.05 et de 2,01 enfants par femme.
“Les politiques natalistes sont plus faciles à mettre en oeuvre en période de prospérité”, reconnaît un haut-responsable de la protection sociale, qui ne souhaite pas être cité.
Il relève notamment que “dans le privé, les mères de familles préfèrent fréquemment ne pas exercer leurs droits de peur du chômage”, qui frappe près d’un tiers des femmes actives, pour un taux général de 27%.
Sur le papier, les employées du privé peuvent prétendre à des congés maternité d’une durée cumulée allant jusqu’à 15 mois, dont 11 payés, mais dans la pratique, peu osent les réclamer.
Mieux protégées, les fonctionnaires peuvent elles bénéficier de jusqu’à 14 mois de congés payés de maternité. Elles étaient aussi réputées profiter souvent de congés supplémentaires pour grossesse difficile, ou prétendue telle.
Risque accru de chômage pour les femmes enceintes
Le Médiateur grec du citoyen vient de tirer la sonnette d’alarme contre l’impact de la crise sur les droits des mères.
“Les femmes enceintes ou concluant leurs congés maternité sont exposées à un risque accru de chômage ou d’emploi précaire (…) dans beaucoup de cas elles acceptent des violations de leurs droits pour garder leur emploi”, relève son dernier rapport annuel.
é Lito à Athènes, le 12 avril 2013 (Photo : Louisa Gouliamaki) |
En Grèce, comme dans de nombreux autres pays, “avoir des enfants risque de nuire aux perspectives salariales et à la carrière d’une femme”, relève aussi ce document.
“Nous avons même eu des cas extrêmes de couples qui après s’être battu pendant des années, et avoir subi des traitements coûteux pour pouvoir porter un enfant, ont recouru à l’avortement car le mari avait perdu son emploi”, affirme M. Papadopoulos.
Paradoxalement, les familles nombreuses ont même été frappées plus que les autres par les mesures d’économie dictées par les créanciers du pays, UE et FMI, qui ont réduit les allocations et les allègements fiscaux jusque là consentis.
Le dernier train d’austérité adopté par le pays en 2012 a ainsi supprimé la prime de naissance de 2.000 euros accordée à partir du troisième enfant, et le régime d’allocations aux familles nombreuses indépendamment de leurs revenus, dont le montant pouvait atteindre jusqu’à 4.700 euros par an.
Le nouveau système mis en place en 2012 se prévaut d’assurer une assistance mieux ciblée. Mais pour recevoir le maximum prévu, 5.880 euros par an, une famille doit aligner six enfants, et ne disposer que de revenus de famine.
Parmi les autres victimes européennes de la crise de la dette, l’Espagne a aussi rogné sur ses prestations natalistes, en supprimant en 2011 une prime de 2.500 euros par naissance.
Pour Georgia et Nikos Kitsaki, un couple sans emploi de Salonique, dans le nord de la Grèce, élever trois enfants relève du coup de la gageure.
Avec une allocation chômage de 470 euros par mois, qui s’interrompra en décembre, et des allocations familiales de 276 euros, “nous ne pouvons pas couvrir les besoins de nos enfants, et nos parents doivent nous aider sur leurs pensions de retraites” elles-même réduites par la rigueur, affirme Mme Kistaki, qui travaillait dans l’hôtellerie.