«En première analyse, la Tunisie est, pour l’instant encore, le seul pays arabe qui ait réussi à mettre en place un processus de transition qui fonctionne, certes de façon heurtée, mais sans connaître les fortes turbulences, voire les affrontements armés qui affectent d’autres pays arabes».
Ces premières lignes du tout récent rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri) pourraient convenir aux Etats-Unis d’Amérique qui ont adressé, lors de la présentation du Rapport annuel mondial sur les droits de l’Homme, un blâme aux pays arabes d’après le «Printemps arabe».
Selon le Département d’Etat américain, les espoirs de démocratisation sont en train de voler en éclats et risquent d’être anéantis par des régimes autoritaires qui butent «sur les dures réalités de transitions contestées et incomplètes», précise le secrétaire d’Etat américain, John Kerry.
Dans ce même rapport, les USA laissent une soupape pour donner du temps et de la marge à la Tunisie qu’ils félicitent de “percées démocratiques encourageantes” dues principalement aux élections du 23 octobre 2011.
C’est dire combien les futures élections sont capitales pour l’avenir du pays et de la région qui, selon Denis Bachard, conseiller Ifri pour le Moyen-Orient, estime que «la situation reste très fluide et très ouverte : les jeux ne sont pas faits. Les audiences respectives des deux courants qui traversent la Tunisie, les pôles islamo-conservateur et libéralo-progressiste sont assez comparables en soutien dans l’opinion publique. La victoire des premiers est largement due aux divisions et à la désorganisation des seconds. Mais cela peut changer si l’opposition parvient à offrir un programme de gouvernement crédible et s’organise efficacement».
La note conclut en précisant: «s’il existe une majorité qui, de part et d’autre, souhaite construire un nouvel État tunisien, plus démocratique, les risques de dérapage et de violence existent, pouvant venir d’éléments islamistes mais également de provocations venant des nostalgiques de l’ancien régime. Les prochains mois seront décisifs, non seulement pour la Tunisie mais pour le monde arabe. La Tunisie a effectivement tous les atouts pour réussir son passage à la démocratie. Un échec à Tunis serait lourd de conséquences et donnerait raison à ceux qui estiment que les Arabes ne sont pas mûrs pour la démocratie. Il est clair cependant que rien ne sera comme avant et que le processus vers la démocratie, qui ne peut être que long et douloureux, est dans le monde arabe comme ailleurs irréversible».
Les événements d’un «monde arabe» en colère ont surpris le monde et la sphère internationale. Ils ont mis à jour qu’obnubilés par l’islamisme, certains pays étaient incapables de penser qu’un peuple, donnant par son silence une impression de stabilité, pouvait se rebeller.
Depuis de l’eau a coulé sur les ponts et les relations, notamment entre les USA et la Tunisie à titre d’exemple, passent depuis l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis en septembre 2012 par des zones de turbulences. Nous sommes bien loin du temps du standing ovation du Congres américain et de ce “Printemps arabe” que beaucoup considèrent comme un prolongement du fameux discours du Caire de Barack Obama et d’une nouvelle “approche” de la politique américaine dans la région.
Le rapport annuel mondial sur les droits de l’Homme émanant du département d’Etat a aussi reconnu que la liberté d’expression et de presse sont assez respectées dans l’ensemble sans omettre de préciser les atteintes qui y sont portées. Le rapport précise qu’il y a une peur croissante des représailles d’un gouvernement réticent à mettre en œuvre des réformes sur les médias adoptée en 2011 en remplacement de l’ancien code de la presse.
La HAICA peine encore à voir le jour, et dans l’absence de procédures législatives claires, les nominations des dirigeants dans les médias publics sont sujettes à de graves altercations entre les gouvernants et la société civile.
Accusations entre Pékin et Washington
Le rapport du département d’Etat est loin de faire l’unanimité. Si Washington salue la démocratisation de la Birmanie depuis 2011, elle pointe du doigt plusieurs pays asiatiques dont la Corée du Nord et la Chine en 2012 avec notamment des atteintes sans les régions peuplées de Tibétains et d’Ouïghours. La Chine rétorque aussi vite avec un contre-rapport émanant du Conseil d’Etat chinois, qui accuse l’Amérique de “fermer les yeux sur sa propre situation déplorable des droits de l’Homme” et de se poser en “juge mondial” sur la question.
Pékin accuse l’administration américaine «de mettre ses citoyens sous surveillance et affirme que le financement de la vie politique américaine était dommageable à la démocratie dans ce pays. Le rapport accuse en particulier Washington d’avoir infligé “des pertes massives à la population civile” lors des guerres menées en Irak et en Afghanistan».
Des points qui sont au cœur même de la politique euro-américaine post-Printemps 2011.