Au Bangladesh, les “ateliers de misère” du secteur textile encore frappés

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é le 24 avril 2013 à Savar, dans la banlieue de Dacca (Photo : Munir Uz Zaman)

[25/04/2013 10:09:57] DACCA (AFP) Des organisations de défense des ouvriers du textile au Bangladesh imputent la responsabilité des nombreux accidents dans ce juteux secteur aux patrons impitoyables, à la négligence du gouvernement et aux firmes occidentales plus soucieuses des réductions de coût que de la sécurité.

Au moins 200 personnes sont mortes dans l’effondrement mercredi d’un immeuble qui abritait cinq ateliers de confection, frappant une nouvelle fois un secteur qui a généré l’an dernier 20 milliards de dollars à l’export et contribué à répandre dans presque chaque foyer occidental l’étiquette “Made in Bangladesh”.

Certains ouvriers du textile qui travaillaient dans l’immeuble Rana Plaza de Savar, à la périphérie de Dacca, étaient payés 37 dollars (28 euros) par mois pour fabriquer des habits destinés, entre autres, à la marque britannique à bas prix Primark.

En novembre, un incendie dans une usine textile près de Dacca avait coûté la vie à 111 ouvriers, en majorité des femmes, suscitant une polémique sur les conditions de travail et de sécurité des employés de cette industrie, la deuxième plus importante au monde.

Cette usine ne disposait pas d’équipements de lutte contre le feu, les sorties de secours étaient bloquées et les ouvriers avaient reçu l’ordre de rester à leur poste en dépit de la fumée, leurs chefs assurant qu’il s’agissait d’un exercice d’alerte incendie.

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étruit dans un incendie le 27 janvier 2013 à Dacca (Photo : Munir Uz Zaman)

Quant à l’accident mercredi, en dépit d’une évacuation du Rana Plaza la veille après que des ouvriers avaient constaté des fissures sur l’immeuble, leurs chefs leur ont demandé de revenir travailler.

“Le gouvernement promet depuis des années de prendre des mesures significatives pour améliorer la sécurité dans les usines de confection mais ils n’ont jamais accompli leurs promesses”, dénonce Scott Nova, directeur exécutif du groupe de défense des ouvriers, Worker Rights Consortium, basé à Washington.

“Le gouvernement estime que de strictes règles sur le droit du travail, qui pourraient augmenter les coûts de production, risqueraient de conduire les marques et détaillants (étrangers) à passer leurs commandes ailleurs” qu’au Bangladesh, selon M. Nova.

En dépit d’une série d’inspections dans les milliers d’usines du pays après le drame de novembre, un nouvel incendie en janvier dans une usine fournissant l’espagnol Inditex, numéro un mondial du textile et propriétaire de la marque Zara, a fait huit morts parmi les ouvriers, dont deux étaient mineurs.

Le Bangladesh s’est lancé dans le textile pour l’export voici trente ans et il a réussi à en faire aujourd’hui la figure de proue de son économie.

Des années de croissance à deux chiffres grâce à ses 4.500 usines ont aidé ce pays défavorisé d’Asie du sud de 153 millions d’habitants à réduire sa pauvreté endémique à un rythme plus rapide que son voisin, le géant indien.

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à Savar, dans la banlieue de Dacca, dévastée par un incendie le 26 novembre 2012

Dans un rapport sur le secteur, le cabinet de consultants McKinsey qualifiait récemment le Bangladesh de “future Chine” en prédisant que ses exportations textiles pourraient tripler d’ici 2020.

Pour le vice-président de l’Association des fabricants et exportateurs du secteur textile au Bangladesh, Shahidullah Azim, les accidents sont dus aux usines vieillissantes qui devraient être rénovées.

“Nous craignons que certains acheteurs annulent leurs commandes mais nous essayons vraiment d’améliorer les conditions de sécurité”, assure-t-il.

Meenakshi Ganguly, directrice de Human Rights Watch pour l’Asie du sud, estime de son côté que les consommateurs devraient aider à faire pression sur les marques pour qu’elles ne s’approvisionnent plus au Bangladesh, permettant ainsi une prise de conscience des industriels.

“Nous avons vu cela avec le commerce de diamants issus de pays en guerre: lorsque les consommateurs deviennent conscients (de la situation) et évitent d’acheter des diamants dont l’origine est liée à des troubles, alors l’industrie est obligée de changer”, souligne-t-elle.

Elle dénonce aussi les intimidations à l’égard de militants pour la défense des ouvriers, dont certains ont été “assassinés ou poursuivis en justice”.

Babul Akhter, le chef de la Fédération des ouvriers du textile et de l’industrie au Bangladesh, ne s’attend pas à ce que justice soit faite après l’accident du Rana Plaza.

“Ici, les hommes d’affaires du textile sont au-dessus des lois”, lâche-t-il.

“Les marques occidentales sont aussi complices parce qu’elles ferment les yeux sur les pratiques des fabricants. Comme les fabricants, ces détaillants utilisent la main d’oeuvre bangladaise comme une machine à cash”, ajoute M. Akhter.