Tunisie – Institution sécuritaire : «Un agent de l’ordre qui ne se soumet pas risque le tribunal militaire»

securite-interieur-2013.jpgQuelle police voulons-nous aujourd’hui? Qu’attendions-nous de l’institution sécuritaire après le 14 janvier 2011? Qu’elle devienne, tout d’un coup, respectueuse des droits de l’Homme dans leurs moindres détails? Qu’elle exécute ses différents exercices et missions sans bavures, sans débordements? Qu’elle se transforme comme par enchantement en une police républicaine, citoyenne et disciplinée? Qu’elle ne montre allégeance et dévouement qu’envers le drapeau, la patrie et le peuple?

Autant de questions qui restent sans réponses à ce jour. Car il n’est pas dit que le corps sécuritaire, tout comme d’autres organismes, institutions et organisations nationales, ait été épargné par certaines pratiques allant de l’arrogance à l’allégeance et la subordination envers des personnes ou des groupes d’intérêts en passant par de mauvaises pratiques comprenant corruption et malversations.

Devons-nous généraliser? Bien sûr que non. Car aujourd’hui, l’institution sécuritaire elle-même représentée par ses différents syndicats appelle à une réforme profonde aussi bien de ses structures que des lois. La question d’une remise en cause fondamentale de l’organisation sécuritaire et policière s’est posée avec acuité lors d’un forum organisé par les syndicats de la police, lundi 22 avril 2013 à Tunis, et intitulé «La réforme sécuritaire et la mise en place des attributs de la sécurité républicaine: défis, principes et objectifs».

Une réforme globale et radicale qui doit toucher aussi bien les lois que les statuts portant organisation des forces de sécurité. «Les lois légiférant les missions, les attributions et les prérogatives des forces de l’ordre restent toujours soumises aux instructions de l’exécutif au risque pour un agent de l’ordre de comparaître devant le tribunal militaire en cas de désobéissance ou d’insoumission, et cela peut aller jusqu’à la fabrication de délits fictifs. Les ordres que nous devrions exécuter pourraient être contraires aux règles élémentaires du respect des droits de l’Homme ou des lois en vigueur», a déclaré, à l’occasion, Mohamed Sahbi Jouini, chargé des affaires juridiques du Syndicat qui a relevé l’absence d’une véritable volonté politique garantissant la neutralité de la police et son indépendance.

M. Jouini a également déploré l’absence de toute liberté d’agir pour les agents de l’ordre tant pour ce qui est du choix des époux que de celui du lieu du travail en passant par l’interdiction à tout agent du ministère de l’Intérieur de se déplacer sans autorisation préalable: «Cela s’appelle de l’esclavagisme», a-t-il commenté.

Une réforme de l’institution sécuritaire reviendrait-elle à dire qu’un agent de l’ordre doit choisir où, comment et dans quelles conditions il doit exercer? La réalité impose justement à ceux qui ont choisi d’y embrasser une carrière d’être au service de la Nation, car c’est un département où les normes classiques d’un travail administratif ne sont appliquées nulle part dans le monde pour les opérationnels. Et c’est même le propre de tous les parcours professionnels au sein des ministères de souveraineté, qu’il s’agisse de celui de l’Intérieur, de la Défense, de la Justice ou même des Affaires étrangères.

Reste que la question la plus importante, à laquelle nous devons trouver réponse, serait plutôt de considérer les moyens de munir le département de l’Intérieur des capacités humaines et matérielles qui lui permettraient de mener au mieux sa mission. L’Institution sécuritaire est confrontée à nombre de défis touchant l’allégeance à la patrie, le service du peuple, le respect des lois et la soumission à une morale rigoureuse et une éthique professionnelle qui soient des garde-fous à tous débordements venus de toutes parts. C’est ce à quoi aspirent aujourd’hui les forces de police, toutes catégories confondues. «Nous voulons opérer dans le respect des lois et nous revendiquons également des lois qui nous couvrent et nous protègent, car nous ne voulons plus être les dindons de la farce ou servir de boucs émissaires pour qui que ce soit. Notre objectif en nous lançant dans cette lutte pour une police républicaine est qu’il n’y ait plus d’allégeance qu’envers le peuple et la patrie. Nous pourrons réussir cela grâce au soutien de la société civile et par la constitutionnalisation de la neutralité et l’indépendance de la police. La révision des législations et l’identification de nouveaux dispositifs répondant aux normes internationales seraient de nature à garantir une relation de respect entre le citoyen et l’agent de l’ordre», a pour sa part indiqué Imed Belhaj Khlifa, porte-parole de l’Union des Syndicats de Police.

Mais plus que l’image qu’elles renvoient aux autres, plus que les législations, ou les moyens dont elles ont besoin, les forces de l’ordre représentées par leurs syndicats devraient plancher au plus tôt sur la mise en place d’une stratégie à moyen et long termes visant l’instauration d’une nouvelle culture au sein de l’institution sécuritaire. Celle de la solidarité entre les différents corps sécuritaires pour couper avec une longue tradition de «diviser pour mieux régner». Celle de la suprématie de la loi et du refus de toutes prises de positions, pratiques ou actes partisans, allégeance envers les gouvernants ou soumission aux lobbys politiques et économiques du moment.

De leurs prédispositions à être neutres, de leurs capacités à gagner le respect des citoyens non pas en faisant amis/amis avec eux mais en faisant prévaloir la loi et en leur prouvant au quotidien qu’ils sont non seulement les garants de leur sécurité, mais beaucoup plus que cela, qu’ils sont les représentants de l’autorité de l’Etat et de sa solennité, les agents de l’ordre peuvent exercer en toute sérénité et gagner l’estime de leurs compatriotes.