L’Assemblée nationale constitutionnelle (ANC) se voulait la plus haute instance du pays. Mais à quoi sert la hauteur si elle n’est reconnue que par ceux qu’elle concerne -et encore pas tous!
Le bilan de l’ANC est décevant. La Constitution, qui a été livrée, est-elle celle de la honte ou d’une future dictature? Loin s’en faut! Les députés progressistes qui se relayent pour dénoncer les manipulations, malversations et autres cris au scandale sont autant responsables que ceux qu’ils accusent de faire passer leur projet sociétal. Tous deux sont partie prenante de ce projet qui se brise ou en tout cas qui s’écorne largement.
Si l’objectif de cette phase de transition était d’asseoir les institutions, d’instaurer un vrai débat et de se mettre d’accord sur un pays à bâtir, ce n’est qu’avec des accusations, des insultes, de la démagogie et autres calculs d’épiciers qu’avancent les politiques de ce pays face à une société civile qui se bat et à un peuple qui trinque.
Par cet exercice désastreux, l’ANC et le leadership politique tunisien ont dégouté les Tunisiens de la «révolution». L’ANC a posé son curseur entre le déni, l’autisme et le dédain. L’opposition a mis sa boussole sur le «show» et l’esprit de contradiction systématique abusant de la cosmétique.
Voir la Tunisie s’enliser dans la crise économique et sociale fait-il regretter le choix de la Constituante? A ce jour, les avis sont partagés sur le résultat de son brouillon. Entre ceux qui crient au scandale et ceux qui estiment qu’avec quelques réglages, la Constitution sera «la meilleure du monde», demeure le regret d’être parti d’une feuille blanche et d’en être réduits à espérer au mieux la Constitution de 1959.
Il s’agissait de rédiger une Constitution pour tous et pour longtemps, or il s’avère que les transactions avec un «gagnant» et un «perdant» sont davantage légion qu’un vrai dialogue qui aboutisse à un vrai consensus. Quand le compromis devient compromission et que le projet de Constitution ne parvient pas «encore» à porter ni à protéger «le vivre ensemble», pour éviter «la guerre civile» ou le retour de la dictature, l’attente de plusieurs rectifications devient vitale.
Pour le moment, on dit que le brouillon de l’actuelle Constitution tunisienne ressemble aux Tunisiens. Mais l’objectif est-il de le tailler à leur mesure actuelle ou à ce qu’ils tendent de devenir, une fois qu’ils seront débarrassés de l’injustice, de l’oppression…
Prétendre que ce brouillon est un amas de pitoyables aspirations va aussi trop vite en besogne. Un fait est sûr pour le moment, et à moins d’un «autre miracle tunisien», cette phase se fait au détriment d’une responsabilité historique et d’une déception qu’on afflige à tout un peuple.
Abdelhawedb Meddeb décrit le processus en marche: «Six mois après le délai prévu, la Constitution qui nous est proposée est sous tout rapport inacceptable. Ses rédacteurs avancent masqués pour servir le projet islamiste d’Ennahdha. Aussi est-elle plus idéologique que juridique. Si elle est adoptée, ce sera le désastre de la régression et la voie ouverte vers la théocratie et la clôture archaïque. Si elle est rejetée, la crise perdurera et la légitimité des islamistes, et au-delà d’eux, des constituants toutes couleurs confondues, sera encore plus érodée. En somme, la révolution continue».
Au sein de l’ANC, le député et constitutionaliste Fadhel Moussa se débat. Il explique: «Comment obtenir une Constitution de compromis acceptable pour les deux… Même si c’est à contrecœur pour chacun… La démocratie qu’on défend est basée sur le compromis permanent et non pas sur le rejet de l’autre. La coexistence est de ce fait inéluctable…»
Le député rajoute qu’il faut éviter que ne s’ouvre la voie à une autre interprétation du fameux référentiel de l’identité arabe et musulmane de la Tunisie. «Des verrous existent dans le projet pour éviter cela. A leur tête, l’article 2. Est-ce suffisant? En fait, le seul verrou qu’il faille, c’est de remporter les prochaines élections. On gardera alors cette interprétation qui perpétuera le modèle de la Tunisie de 3.000 ans d’histoire mais qui restera ancrée dans sa culture et civilisation arabe et musulmane bien comprise».
La Constituante se devait d’être un espace de construction de tous les avenirs et un réceptacle des aspirations autant qu’un espace de contestations et d’apprentissages est discrédité.
Ce ne sont pas les multiples appels à sa dissolution et encore moins les multiples appels à sa «sacralité» qui font avancer les choses. Le peuple a faim. La faillite menace et la colère gronde. Pour le moment, le show go on!