En 2007, une délégation du Fonds monétaire international (FMI), conduite par le Marocain Abdelhak Senhaji, avait débattu avec les Tunisiens un package de réformes monétaires structurelles. Cette stratégie, qui a connu quelques résultats au niveau de la réflexion, a été interrompue de manière brutale par la révolution du 14 janvier 2011.
Presque sept ans après, le même Fonds revient à la charge et met à profit les difficultés financières que la Tunisie connaît actuellement pour l’appâter avec un prêt structurel de 2,6 milliards de dinars –même s’il est accordé à titre de précaution- et lui imposer la même stratégie à un détail prêt.
Chargé de la mission de sacrifice de l’annoncer au public, Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, commence à en révéler, lors des conférences de presse et interviews dans les médias, quelques éléments, sans oser la présenter dans sa totalité.
En voici les six grands axes pour information.
Selon Abdelhak Senhaji, que nous avions interviewé à l’époque, cette stratégie constitue un package articulé autour de six principales réformes: la restructuration des banques publiques, la réforme de la politique de change, la convertibilité totale du dinar, la lutte contre l’inflation à travers l’institution de son ciblage, l’amélioration de la productivité totale des facteurs de production et la réduction du chômage.
Première réforme: la restructuration des banques publiques laquelle est d’une grande actualité aujourd’hui.Le FMI estime que l’économie tunisienne va gagner en solidité et en croissance pour peu qu’elle s’adosse à un secteur bancaire assaini, débarrassé de ses créances douteuses et capable d’accomplir sa mission. Celle-là même qui consiste à allouer les ressources, à collecter l’épargne et à financer l’économie. Il ajoute que les banques plombées par des créances douteuses sont des banques frileuses et fragiles. Elles ont tendance à refuser, généralement, de prendre des risques et de financer les projets.
Moralité : pour le Fonds, les créances accrochées génèrent des pertes qui ne vont pas créer des revenus, diminuent la profitabilité des banques, augmentent le coût de financement des entreprises et favorisent le resserrement du crédit. C’est pour toutes ces raisons qu’il faut s’en débarrasser. Et le plutôt serait le mieux.
Concrètement, comment les choses vont se passer? D’après Chedly Ayari, l’audit des trois banques publiques permettra d’analyser, d’abord, la situation financière de ces établissements de crédit, et d’engager, ensuite, une profonde réflexion sur leur avenir.
Trois scénarios sont prévus: le renforcement de la dimension publique de ces banques, la fusion des trois banques en un pôle bancaire public comme c’est le cas en France et leur conversion en banques mixtes dans le cadre d’un partenariat public/privé tunisien.
Deuxième réforme : la révision de la politique de change. Le FMI pense que le taux de change doit refléter les interactions du marché de change. En d’autres termes, la Banque centrale ne doit pas intervenir dans le marché. Elle ne doit pas, en quelque sorte, influencer le taux de change.
Chedly Ayari est du même avis.Le gouverneur de la BCT s’est prononcé pour la fixation du taux du dinar par le marché. Pour lui, la BCT se contentera de jouer le rôle de régulateur.
Pour le FMI, la flexibilité de change suppose, néanmoins, la mise en place d’une logistique appropriée (banques de données, veilles, formation de ressources humaines) et la réalisation concomitante de trois objectifs, à savoir la libéralisation du compte capital, le flottement du dinar et le passage au ciblage de l’inflation.
Troisième réforme, l’option pour la convertibilité totale du dinar pour laquelle Rached Ghannouchi, leader du parti Ennahdha, avait plaidé, bizarrement, dès l’accès de son parti au pouvoir.
Côté FMI, on considère, globalement, que la Tunisie n’est pas encore prête pour la libéralisation du compte capital. La libéralisation totale du dinar est un processus graduel pour le succès duquel il faudrait réunir toutes les garanties de réussite.
L’essentiel pour le FMI est de faire l’économie d’expériences malheureuses comme celles qui ont eu lieu en 1997 au sud-est asiatique. Pour le Fonds, la prudence doit être de mise. Il faut éviter de mener cette réforme de manière hâtive.
Quant au gouverneur de la BCT, il se dit peu enclin à la dépréciation du dinar, rappelant que l’amélioration de la situation de la monnaie nationale demeure tributaire de bonne santé de l’économie tunisienne et de sa solidité.
Quatrième réforme : le ciblage de l’inflation.C’est un cadre de politique monétaire qui vise à réduire les incertitudes et à cibler un taux d’inflation réalisable. Il s’agit de se fixer, au début de chaque exercice, un objectif d’inflation et de tout faire pour l’atteindre. La BCT est jugée sur sa capacité d’atteindre cet objectif.
Cette stratégie suppose la mise en place de toute une logistique. Des instruments statistiques, des modèles pour prévoir l’inflation, des compétences pour piloter le processus.
Actuellement, la BCT, pour lutter contre l’inflation, utilise trois instruments, en l’occurrence la réserve obligatoire, l’augmentation du taux directeur et l’encouragement de l’épargne bancaire à moyen terme. L’objectif est de rationaliser les crédits dédiés à la consommation et de réduire l’inflation importée.
Chedly Ayari estime que cet effort est insuffisant tant qu’il n’est pas accompagné par ceux d’autres départements tels que les ministères de l’Intérieur (lutte contre la contrebande), du Commerce (intensification du contrôle économique, particulièrement du marché de gros) et des Finances (contrôle douanier aux frontières).
Cinquième réforme, la réduction du chômage. Le FMI relève que la priorité, à court terme, consiste à stabiliser le chômage et considère en filigrane que la recrudescence du chômage est due en partie aux choix sociaux de la Tunisie, particulièrement à l’emploi des femmes.
Pour Abdelhak Senhaji, la situation du chômage en Tunisie est bien particulière. Car, en toute logique économique, une économie qui croît au taux moyen de 5% (en 2007 bien sûr) doit, en principe, créer plus d’emplois et réduire le chômage. Seulement ce serait oublier que la Tunisie a fait des choix difficiles. Elle a opté pour l’éducation de ses enfants sans distinction du sexe et pour la libéralisation de son économie (emploi des femmes).
Conséquence : l’économie du pays est petite et ne peut pas absorber un nombre illimité de diplômés du supérieur. Je vois déjà certains se régaler!
Pour passer à des paliers supérieurs en matière de création d’emplois, la Tunisie se doit impérativement, aux yeux du FMI, booster l’investissement privé et améliorer la productivité totale des facteurs de production laquelle doit augmenter pour représenter 50% de la croissance, ou 3% des 6,1% du taux de croissance moyen par an.
Sixième et dernière réforme : l’amélioration de la productivité totale des facteurs de production. Dans cette optique, la démarche à suivre consiste à agir sur l’environnement des affaires (infrastructure, procédures administratives, coût des télécommunications…) aux fins d’apprendre, d’une année à l’autre, aux entreprises à produire mieux et plus avec le même investissement et le même nombre de travailleurs.
Les entreprises tunisienne sont appelées à produire, en un mois, ce qu’elles faisaient en deux mois. Pour ce faire, il importe d’écourter les délais et de réduire les coûts à tous les niveaux. La règle consiste à produire, au meilleur rapport qualité/prix, avant les autres et au moindre coût.