Dans la campagne roumaine, en septembre 2012 (Photo : Daniel Mihailescu) |
[03/05/2013 07:01:18] PARIS (AFP) La ruée sur les terres agricoles qui motive de nombreux investissements étrangers en Asie et en Afrique vise aussi d’anciens pays du bloc d’Europe de l’Est comme la Roumanie, la Hongrie ou la Pologne, selon un rapport de la Coordination européenne Via Campesina (ECVC).
“En Europe de l’Est, la concentration de la propriété foncière a été particulièrement marquée depuis la Chute du Mur de Berlin” et s’est accélérée au moment de rejoindre l’Union européenne en 2004, relèvent les auteurs pour qui “l’argent public, par le biais de subsides payés dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), a contribué à cette concentration de terres et de richesses”.
Les investisseurs “achètent des terres bon marché sur lesquelles ils produisent à moindre coût alors que les prix des matières premières agricoles flambent et en plus ils encaissent les subventions”, résume Attila Szocs, ingénieur agronome responsable de l’association roumaine EcoRuralis.
“C’est une situation triplement gagnante”, relève-t-il, en affirmant que “la Roumanie et la Hongrie sont les plus exposées” au sein de l’Union européenne.
La Hongrie a d’ailleurs interdit mi-décembre tout achat de terres par des capitaux étrangers jusqu’en 2014 pour protéger ce “trésor national contre les spéculateurs”, indiquait alors le Premier ministre conservateur Viktor Orban.
En Roumanie, 5e pays de l’UE en surfaces agricoles –dont plus de la moitié, les “terres noires”, sont particulièrement fertiles–, “au moins 6,5% des terres arables, soit 700.000 hectares environ, sont aux mains d’investisseurs étrangers”, affirme M. Szocs venu présenter les travaux à Paris.
“Dans le sud du pays ce sont surtout des investisseurs venus de pays arabes, du Qatar, d’Arabie Saoudite, et aussi un fonds d’investissements libanais”, souligne Stéphanie Roth, coordinatrice de la campagne Good Food Good Farming d’Ecoruralis.
Sur ces terres sont produites de grandes cultures céréalières, blé et maïs, qui partent directement à l’export, insiste-t-elle. Ainsi qu’un immense élevage d’environ 20.000 moutons, eux aussi expédiés vers des pays du Golfe.
Le plus souvent, il ne s’agit pas “d’achat” de terres mais plutôt de location longue durée: “les contrats sont flous, les paysans en comprennent souvent mal les termes. On leur promet des achats de matériels, ils cèdent leurs terres pour 10 ou 20 ans à 100 euros l’hectare. On a même vu des contrats à 600 kilos de grains/ha. Mais rien qu’en subvention de la PAC, l’investisseur va encaisser 130 euros/ha.” reprend Attila Szocs.
Selon lui, le phénomène a commencé juste après la fin de la révolution, “au début des années 90 avec des Roumains liés au nouveau gouvernement. Puis juste avant que la Roumanie ne rejoigne l’UE (en 2004), on a vu arriver de nouveaux spéculateurs, le prix a soudainement triplé et continue de monter chaque année.”
“La terre est devenue inaccessible aux paysans locaux”, constate-t-il encore.
Elle reste pourtant encore bien moins chère qu’ailleurs en Europe: entre 2.000 et 4.000 euros/ha c’est dix fois moins qu’au Danemark ou aux Pays-Bas, avec une main d’oeuvre elle aussi bon marché.
Parfois, les investisseurs achètent vraiment la terre et la louent aux locaux en attendant de la revendre ultérieurement, affirme M. Szocs; c’est ce qu’ont fait plusieurs multinationales ou fonds d’investissement européens qui ont créé une petite société locale pour ce faire – avec la bienveillance de l’administration.
Un groupe d’investissement suédois qui agissait de même en Pologne vient d’annoncer, mardi, la vente des 6.700 ha qu’il exploitait depuis 13 ans en Pologne à 250 km de Varsovie, estimant avoir réalisé “une opération substantielle au cours de la décennie”, selon le site Agrimoney citant le directeur exécutif de Kinnevik’s KinnAgri Business, David Cousins.
Au cours des trois dernières années, le prix de la terre en Pologne a augmenté de 25%, selon la même source.