Le respect de la liberté syndicale dans le monde est une exigence fondamentale et inévitable, il relève des principes des droits essentiels adoptés par la Conférence internationale du travail en 1998. La liberté syndicale représente l’une des principales garanties de la paix et de la justice sociale, mais est-ce à dire que l’on doive constitutionnaliser le droit à la grève alors que celui même d’institutionnaliser la liberté du travail n’existe pas?
140.000 emplois perdus en Tunisie depuis le 14 janvier 2011 alors que la principale revendication des jeunes qui sont descendus dans les rues, au risque d’y perdre la vie, était celle de travailler. Et qu’il s’agisse de raisons se rapportant à une instabilité sociale, à des grèves anarchiques, à l’incapacité de la centrale syndicale de maîtriser ses troupes, ou pire au fait que l’ancien gouverneur de la Banque centrale ait décrété une amnistie sur les chèques impayés (un sacrilège) -ce qui aurait causé la faillite de nombre de PME/PMI et TPE-, le résultat est le même: les premières victimes sont les personnes qui se retrouvent du jour au lendemain dans la rue ou celles qui ambitionnaient de trouver un emploi.
Attention, ceci ne veut nullement dire que l’on doive exploiter impunément les travailleurs ou qu’on doive les asservir, car s’il est une obligation que l’employeur doit remplir, c’est bien celle du respect des droits des travailleurs.
Les temps de l’asservissement et de l’esclavagisme sont révolus depuis belle lurette. Mais la toute nouvelle puissance de l’UGTT, affirmée depuis le 14 janvier 2011, ne doit pas non plus l’autoriser à l’exercer sur un tissu entrepreneurial fragilisé autant par la conjoncture internationale que nationale.
Le travail est une valeur que nous devons ancrer en culture et non en droit. Car travailler aussi, cela se mérite, et disons-le franchement, il y a des personnes qui se plaignent d’être des chômeurs alors qu’elles ont choisi de l’être. Et elles se trouvent partout sur le territoire national. Il y en a ceux qui préfèrent savourer tranquillement leur thé en jouant aux cartes alors que leurs femmes ou leurs filles triment, d’autres qui préfèrent se suffire de primes dont celle de «AMAL» se la coulant douce sur le dos du contribuable; d’autres encore choisissent les canaux de l’illicite et de la contrebande parce que, disent-ils, ce sont les seuls moyens de faire nourrir leurs gosses. Soit!
S’inscrire dans une logique constructive…
Mais les autres alors, ceux qui se sacrifient pour éduquer leurs enfants et les munir de diplômes pour leur permettre d’affronter l’avenir armés de hautes qualifications? Quelle posture doivent-ils tenir face à la pénurie du marché de l’emploi? Ou encore ceux qui n’ont pas pu aller au bout de leurs études et qui ont beau chercher du travail qui n’en trouvent pas par méconnaissance des circuits de formations disponibles, quels sont les choix qui s’offrent à eux?
Devons-nous sacrifier les uns et les autres dans le jeu de «qui est le plus fort»? Ou plutôt nous intégrer dans une logique constructive et salvatrice des acquis du pays depuis plus de 60 ans? Si les premiers ont choisi l’oisiveté, les seconds ont droit à la chance d’intégrer le circuit économique et d’exercer leurs talents dans le développement de leur pays. Pour cela, il faut préserver aussi bien le tissu entrepreneurial privé que les grandes entreprises publiques.
Le recours à la grève ne doit pas devenir systématique au point de menacer même la survie des entreprises. Auquel cas, faute de pouvoir invoquer le droit à la grève en tant que moyen de pression pour acquérir ou renforcer des acquis, on se retrouve demandeurs d’emplois. D’où l’importance des négociations collectives ou encore celle du contrat social chancelant signé entre l’Etat, l’UTICA et l’UGTT qui ne cesse de rappeler qu’elle recourra systématiquement aux moyens de pression dont elle dispose à chaque fois que les travailleurs seront lésés. Et ce qui complique encore les choses, c’est qu’il n’y a pas qu’une seule centrale syndicale, il y en a aujourd’hui trois dans le pays, et d’aucuns prétendent qu’elles font de la surenchère aux dépens de la survie des entreprises.
Plusieurs exemples à méditer
Il y a aussi la pression sociale ou celle du lobbying tribal. Un exemple édifiant en la matière, celui de la CPG. Car comment peut-on acculer une entreprise aussi puissante soit-elle et fonctionnant au quart de ses capacités à entrer dans un cycle infernal de recrutements massifs? Des sureffectifs qui la mettraient tôt ou tard en faillite. Faute de chercher des solutions ou de militer pour mettre en place un plan de développement intégré à Gafsa, région dotée de nombreux atouts, on limite ses perspectives ainsi que celles de sa jeunesse réputée éduquée au travail à la CPG, cette poule aux œufs d’or qui risque, à ce train-là, de ne plus produire que de la rouille…
Une autre de taille, El Fouladh qui est en train de rendre l’âme, sans oublier le groupe aéronautique Latécoère qui a décidé de rapatrier une partie de sa production en Midi-Pyrénées et qui projetait le délocaliser l’autre partie au Mexique, si ce n’est l’intervention du nouveau ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaa. La décision s’explique par les grèves répétées et les mouvements sociaux. Le départ d’une entreprise de l’envergure de Latécoère représentera une perte sèche de centaines de millions de dinars investis à El Mghira.
Aujourd’hui, on doit légiférer sur le droit à la grève mais pas sur celui du travail ou de la valeur du travail… Le monde à l’envers, car avant d’envisager des grèves, encore faut-il pourvoir le pays en postes d’emplois et préserver ceux qui existent déjà. Pis, nos députés, qui n’ont pas su ou pu préserver les acquis de la défunte Constitution de 1957, appellent aujourd’hui à inscrire le droit de grève dans la nouvelle Constitution. Autant on peut accepter la constitutionnalisation du droit syndical, autant la bataille engagée par certains en faveur du droit inconditionnel à la grève paraît non seulement aberrante, mais révoltante dans un pays où les seules ressources et richesses relèvent de l’humain.
Face à cet état de faits, la présidente de l’UTICA appelle à faire de la liberté du travail une valeur constitutionnelle rappelant que la grève est un droit collectif d’exercice individuel, ce qui signifie que chaque salarié a le droit de le faire tout comme il peut choisir de travailler s’il ne s’estime pas convaincu par les revendications exprimées par les syndicats ou qu’il n’y a pas eu concertations les concernant.
On aurait aimé que la liberté de travailler, que la valeur du travail, que la culture du travail soient placées dans un ordre d’importance précédant celui du droit à la grève.
Mirabeau disait «Le travail est le pain nourricier des grandes nations».
Dans une Tunisie pauvre en richesses naturelles, la seule valeur salvatrice est celle du travail.