étaire, à Savar, près de Dacca, le 14 mai 2013 (Photo : Munir Uz Zaman) |
[14/05/2013 11:45:53] DACCA (AFP) Au Bangladesh, l’industrie textile en pleine tempête et une activité économique paralysée presque chaque semaine par des grèves générales pourraient mettre en péril une décennie de progrès d’une jeune nation autrefois jugée “irrécupérable”.
Depuis 2003, le Bangladesh a enregistré une croissance annuelle de 6,2% et son taux de pauvreté a chuté d’environ 2 points de pourcentage par an pour atteindre environ 30% de la population.
Mais les analystes estiment que la crise du secteur textile depuis l’effondrement le mois dernier d’un immeuble près de Dacca, qui a fait 1.127 morts, et les pires violences politiques depuis l’indépendance lors de heurts entre police et islamistes, pourraient faire fuir les investisseurs.
La plupart des commerces et bureaux étaient fermés mardi pour une énième grève à l’appel du parti d’opposition et de ses alliés islamistes, furieux de voir la quasi intégralité de leur appareil politique en train d’être jugé pour des faits de crimes de guerre datant d’il y a plus de quarante ans.
Motivée par “l’agitation” d’ouvriers, la fermeture jusqu’à nouvel ordre d’une zone industrielle près de Dacca abritant parmi les plus importantes usines textiles du pays risque en outre de nuire durablement à l’économie.
Comme si cela ne suffisait pas, l’agence de notation Moody’s a placé la semaine dernière la note du Bangladesh sous perspective négative à cause “des grèves et catastrophes industrielles” récentes.
Mais même avant le drame du Rana Plaza le 24 avril, le Fonds monétaire international (FMI) jugeait en avril que la croissance cette année passerait sous les 6%.
à Dacca le 14 mai 2013 (Photo : Munir Uz Zaman) |
Le Bangladesh est le deuxième exportateur au monde de vêtements, derrière la Chine. Ce secteur-clé de l’économie, qui génère 29 milliards de dollars par an, représentait l’an dernier 80% des exportations du pays.
Mais les conditions de travail et les normes de sécurité dans cette industrie sont dénoncées depuis des années par les ONG et la tragédie du Rana Plaza a relancé les vives critiques sur ces “ateliers de la misère”.
Et les voix qui s’élèvent de toutes parts pour que les ouvriers soient payés plus que le salaire minimum mensuel de 38 dollars (29 euros) menacent le principal atout du Bangladesh: sa main d’oeuvre bon marché.
“Les interruptions de production (dans le passé) ont déjà entraîné plusieurs acheteurs internationaux à envisager un approvisionnement auprès de pays comme le Vietnam ou le Cambodge, même pour un coût plus élevé”, commente Ifty Islam, à la tête du Fonds d’investissement Asian Tiger Capital Partners, basé à Dacca.
“La tragédie du Rana Plaza a renforcé cette tendance, la réputation écornée du pays s’ajoutant aux incertitudes d’approvisionnement”, ajoute-t-il.
Selon M. Islam, la vague de grèves a déjà “affecté l’économie” et les appels à paralyser le pays devraient se faire encore plus nombreux au fur et à mesure qu’approchent les élections, prévues l’an prochain.
Car le Bangladesh lutte aussi sur le front politique.
é près de Dacca le 13 mai 2013 (Photo : Munir Uz Zaman) |
La mise en place d’un tribunal spécial chargé de juger les crimes de guerre lors de la lutte pour l’indépendance du pays menée contre le Pakistan, en 1971, ont jeté dans la rue des dizaines de milliers d’islamistes, qui accusent le pouvoir d’instrumentaliser la justice pour réduire au silence ses adversaires.
Cette guerre d’indépendance a abouti dans le sang à la formation du Bangladesh jusqu’alors province du Pakistan appelée Pakistan oriental.
Les difficultés de la jeune nation, s’illustrant par une série de coups d’Etat et de catastrophes naturelles dévastatrices, firent dire au secrétaire d’Etat américain de l’époque, Henry Kissinger, que le Bangladesh était un pays “irrécupérable”.
La relative stabilité du pays au cours des 20 dernières années a permis au Bangladesh de prospérer à un moment où le Pakistan était, lui, en crise permanente.
Mais les récentes manifestations de masse appelant à une nouvelle loi antiblasphème et dénonçant les procès instruits par le tribunal spécial ont suscité des inquiétudes sur le risque de voir le pays prendre le même chemin que le Pakistan.
“Dans le pire scénario, on pourrait devenir un autre Pakistan”, prévient Ahsan H. Mansur, ancien chef du FMI pour l’Asie du sud, soulignant que le Pakistan avait un taux de croissance de 8% dans les années 80 et que son secteur textile était plus important que celui du Bangladesh il y a encore dix ans.
“Si les hostilités politiques continuent, la situation pourrait conduire à l’émergence de forces souterraines extrémistes, entraînant une situation économique comme celle du Pakistan”, ajoute-t-il.