L’égalité de tous les opérateurs du marché boursier devant l’information financière constitue un véritable gage de la réussite de toute place boursière. La rupture de ce principe entraîne nécessairement un dysfonctionnement des mécanismes boursiers et une perturbation de l’ordre économique basé sur la loi de l’offre et de la demande. Et c’est ce qui s’est passé durant ces dernières années sur la Place de Tunis.
Pour mettre fin aux éventuels dépassements ou du moins limiter leurs effets, toutes les places financières ont éprouvé, ces dernières années, la nécessite de renforcer leurs systèmes de surveillance. Alors, le Conseil du Marché Financier (CMF) dispose-t-il des moyens techniques nécessaires à la détection de cette infraction? Le CMF a-t-il les moyens de prouver, en cas de manipulation de cours, que l’altération du cours d’une action découle de l’action irrégulière d’un opérateur sur le marché? La difficulté d’appréhender ce délit passe-t-elle par une clarification de sa définition dans la loi?
Pour essayer de répondre à ces questions, l’Association des intermédiaires en Bourse (AIB) a organisé mardi 14 mai, à la Maison de l’entreprise au Lac (IACE), une conférence-débat sur les délits boursiers, animée par Adel Grar, président de l’AIB, Julien Visconti, avocat français spécialisé en droit boursier, Mehdi Ben Mustapha, cadre au CMF, Maya Boureghda et Hichem Hajri, avocats au barreau de Tunis, ainsi que Fadhel Abdelkefi, président du Conseil d’administration de la Bourse de Tunis.
Modalités de mise en œuvre de la prévention …
Selon M. Ben Mustapha, le CMF répertorie et encadre les pratiques à risque autour de deux éléments, la communication dans le cadre des Data Rooms et le recours abusif au front runing, en l’occurrence. Car, lors de la préparation et de l’exécution d’une opération financière, notamment lors d’opérations de cession de participation significative, les candidats retenus ont généralement accès à des documents contenant des informations sensibles, non publiques susceptibles d’avoir une influence sur le cours du titre.
En effet, il faut que la réunion soit limitée à la cession de participations significatives sécurisées par la conclusion d’accords de confidentialité. Les personnes concernées doivent prendre l’engagement de ne pas intervenir sur les titres des sociétés concernées ou de transmettre des informations privilégiées.
Difficultés de mise en œuvre de la prévention…
S’agissant des difficultés rencontrées par le CMF, M. Ben Mustapha a indiqué que le secret professionnel ne peut être opposé aux enquêteurs du CMF dans le cadre de leurs investigations. Ces derniers rencontrent souvent des difficultés voire des réticences à accéder aux informations pertinentes auprès des professionnels. «On remarque dans ce cadre l’absence de mécanismes incitant à la coopération à l’instar des déclarations de soupçons ou du «whistle blowing», a-t-il expliqué.
Parmi les difficultés rencontrées par les enquêteurs, il a cité celles de recoupement de l’information. Les infractions boursières étant dans leur majorité des infractions liées à l’utilisation indue d’informations, la principale tâche des enquêteurs va consister à recouper les informations disponibles pour monter des dossiers solides. «D’importantes lacunes ont été constatées en matière d’archivage et de disponibilité de systèmes d’informations efficaces», a-t-il ajouté.
Les difficultés juridiques et judiciaires…
Les enquêtes peuvent pâtir de l’ambiguïté de certains textes juridiques régissant les infractions boursières, ce qui se traduit par la classification du dossier au niveau judiciaire. D’ailleurs, en droit tunisien les délits boursiers ne sont pas sanctionnés par des peines privatives de liberté. Ce manque manifeste de sanctions coercitives pourrait avoir un effet psychologique dissuasif.
Au vu du caractère souvent complexe des délits boursiers et qui nécessitent une certaine connaissance des mécanismes et procédures applicables dans les marchés financiers, les juges saisis font souvent face à des difficultés pour pouvoir appréhender les divers aspects des affaires qui leur sont soumises. On remarque en fait l’absence de juridictions spécialisées dans les matières financières.