Nombre d’experts tunisiens estiment que la Tunisie fait face à une situation économique on ne peut plus compliquée, avec plusieurs signaux négatifs (repli du dinar, aggravation du déficit commercial et chute de l’indice de la Bourse). Pour autant, on n’est pas encore dans un scénario catastrophe, pour l’instant. Mais pour combien de temps encore?
L’agence TAP a recueilli les avis de certains experts pour expliquer les tenants et aboutissants de cette situation, en l’occurrence Moez Laâbidi, Mohamed Mabrouk, Fathi Nouri, Lilia Kamoun, Abdelkafi Fadhel, Radhi Meddeb.
Trois indicateurs économiques sont notamment pointés du doigt, à savoir la régression du cours de la devise nationale (le dinar), l’aggravation du déficit commercial (3,4 milliards de dinars en quatre mois) et la chute de l’indice de la Bourse de Tunis (1,8% le 13 mai 2013).
Moez Laâbidi (expert économique) estime que “la situation économique risque de se compliquer davantage à la fin de 2013, si la confiance n’est pas rétabli entre les différentes parties et si l’on ne met pas fin à l’incertitude qui caractérise la scène politique et économique et freine l’investissement”. Dans ce contexte, il appelle le gouvernement à mettre en place des politiques d’austérité (baisse des subventions et gel des salaires), étant donné que “l’économie nationale ne peut plus supporter encore le climat d’incertitude qui règne dans le pays, d’où la nécessite d’accélérer la mise en place des instances chargées de l’organisation des élections et de la justice”.
Selon l’expert, “l’économie nationale est incapable actuellement de faire face aux revendications excessives, un des facteurs responsables de l’aggravation de l’inflation (6,4%), de la baisse de la compétitivité de l’économie et des dépenses de développement dans le budget de 2013”.
La politique d’austérité à laquelle appelle M. Laabidi est, selon lui, “à même d’offrir une marge de manœuvre plus large à la finance publique de manière à favoriser le lancement de réformes fondamentales, dont la mise en place d’un nouveau modèle de développement. De ce fait, il souligne que cette politique d’austérité doit concerner et la présidence de la République, et l’Assemblée nationale constituante, et la présidence du gouvernement, et le salaire du citoyen qui retrouvera ainsi la confiance.
Le recul de l’indice n’est pas un danger…
De son côté, tout en reconnaissant que la situation économique du pays est difficile, l’expert Mohamed Mabrouk estime cependant qu’elle n’est pas catastrophique, parce que “…la Banque centrale de Tunisie (BCT) dispose de tous les mécanismes réglementaires et logistiques lui permettant de maîtriser le cours du dinar”.
A propos du recul de l’indice de la Bourse de Tunis (BVMT), pour M. Mabrouk il ne représente pas un danger. “Des baisses similaires ont été enregistrées à plusieurs reprises au moment de la fuite du président déchu et après l’assassinat de l’opposant Chokri Belaid”. Ceci étant, il invite toutefois le gouvernement à trouver une solution “au problème de l’extrémisme religieux”.
Sur un autre ton, l’universitaire et membre de l’Association des économistes tunisiens (ASECTU), Fathi Nouri, affirme que “la baisse de l’indice Tunindex et la dépréciation du dinar tunisien reflètent la situation économique du pays”, et que «la dépréciation du dinar a un impact indirect sur la Bourse». Pour lui, cette chute de la Bourse est due à des raisons purement techniques, à la situation générale de l’économie et au manque de visibilité, ce qui explique l’hésitation des investisseurs, outre les difficultés auxquelles font face les banques et le secteur privé.
Dans le ordre d’idées, M. Nouri explique également que “la hausse du coût de l’importation et de la production ainsi que celle des prix entraînent automatiquement une baisse du pouvoir d’achat du citoyen, et partant, une régression de l’investissement en Bourse…”.
D’ailleurs, “en dépit des indicateurs négatifs, le marché financier tunisien reste «limité», sa contribution au financement de l’économie ne dépassant pas les 5%, donc “son impact sur l’économie demeure faible”. Néanmoins, M. Nouri met en garde contre la prolifération des marchés de change parallèles, la vente du dinar sur le marché noir et la contrebande qui a causé d’énormes dégâts à l’économie nationale. “L’économie nationale est dirigée sans une véritable maîtrise des sciences économiques et en l’absence totale de diplomatie économique”, regrette-t-il.
Quant à Lilia Kamoun, analyste financière chez Tunisie valeurs, “la situation sécuritaire et politique (évènements de Chaambi, déclarations du dirigeant salafiste Abou Iadh), constitue les principales raisons de la chute rapide de l’indice Tunindex enregistré en début de semaine”, rapporte la TAP.
Elle affirme aussi que “les introductions successives en Bourse ont contribué également à cette régression”. Selon elle, “certains actionnaires en phase de levée de fonds vendent leurs actions pour financer les opérations d’acquisition d’actions dans les nouvelles entreprises cotées”.
Les nouvelles introductions en cause
A l’instar de Fathi Nouri, Abdelkafi Fadhel, président du conseil d’administration de la Bourse de Tunis, pense que «la baisse de Tunindex n’est pas catastrophique et est liée au manque de confiance des investisseurs, vu la situation économique du pays, et à l’introduction de nouvelles sociétés». Selon lui, ce sont ces introductions qui ont provoqué une augmentation soudaine de l’offre, et de ce point de vue, “il faut un certain temps pour que le marché boursier puisse les digérer”, souligne-t-il.
Enfin, Radhi Meddeb, expert économique et chef d’entreprise, se passe des explications de la situation mais considère impératif d’apporter “des solutions à moyen terme et d’autres à long terme pour la reprise économique”.
Parmi les solutions à moyen terme, M. Meddeb appelle à rétablir la confiance, favoriser le consensus et la solidarité, sans oublier de promouvoir le rôle de l’entreprise et d’accélérer l’organisation des élections transparentes dans les délais annoncés. Et à long terme, le pays sera appelé à renforcer la compétitivité de son économie nationale, à mettre en place un nouveau modèle de développement social et durable fondé sur la promotion de l’initiative, de la valeur ajoutée et de la créativité.
WMC TAP