Japon : la reprise sera-t-elle un feu de paille ?

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Le drapeau national devant le port de Tokyo le 24 janvier 2013 (Photo : Toshifumi Kitamura)

[17/05/2013 06:31:28] TOKYO (AFP) Des responsables européens voudraient s’inspirer des Japonais, qui ont inondé leur économie de liquidités pour doper la croissance, mais des économistes préviennent que la reprise nippone pourrait ne durer qu’un an.

Avec son augmentation du produit intérieur brut (PIB) de 0,9% au premier trimestre par rapport au précédent (3,5% en rythme annualisé), les statistiques publiées jeudi à Tokyo ont fait saliver des hommes politiques du Vieux continent, jusqu’au président français François Hollande, dont le pays vient d’entrer en récession.

Ce redémarrage est d’autant plus notable que depuis vingt ans l’économie japonaise n’a cru en moyenne que de 0,85% par an, freinée entre autres par une déflation persistante que le nouveau Premier ministre de droite, Shinzo Abe, a promis de vaincre en poussant la Banque du Japon (BoJ) à déverser des flots d’argent dans les circuits.

“L’économie japonaise est clairement en phase de reprise”, se réjouit Tomo Kinoshita, économiste au groupe de services financiers Nomura. Il souligne la vigueur de la consommation, “soutenue par la dépréciation du yen et la montée des indices boursiers, sur fond d’espoir renaissant”.

Depuis la dissolution de la chambre des députés mi-novembre qui avait fait de M. Abe le favori pour accéder au pouvoir –ce qu’il a fait un mois plus tard– le yen a perdu plus d’un quart de sa valeur face au dollar et à l’euro. L’indice Nikkei de la Bourse de Tokyo s’est envolé dans le même temps de 70%.

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Evolution trimestrielle du PIB japonais du 3e trimestre 2011 au 3e trimestre 2012

Comme nombre de ses confrères, M. Kinoshita crédite M. Abe d’avoir redonné confiance à une population un peu déprimée, qui devrait selon lui consommer davantage grâce aux retombées positives de coups de pouce budgétaires.

Le gouvernement a en effet consacré plus de 40 milliards d’euros aux travaux publics dans son budget annuel, qui s’ajoutent à une somme voisine déjà intégrée dans un plan de relance mis sur les rails en janvier.

Le tournant de 2014

Reste que la propension des entreprises à investir suscite des interrogations : les statistiques de la croissance font apparaître une baisse de 0,7% au premier trimestre.

Vendredi, le ministre des Finances, Taro Aso, s’est pourtant dit certain que les dépenses des firmes en capital allaient désormais augmenter, après la diffusion d’un indicateur très positif sur les commandes de biens d’équipements en mars.

“Les entreprises japonaises sont davantage enclines à investir” maintenant qu’elles croient à une hausse de la consommation des ménages et à celle des exportations grâce à la dépréciation du yen, juge effectivement Takeshi Minami, économiste à l’Institut de Recherche Norinchukin.

Mais même avec un yen affaibli, l’activité des sociétés exportatrices reste fortement dépendante de la conjoncture mondiale.

“La situation pourrait mal tourner si la demande étrangère faiblit et si l’aversion au risque revient sur les marchés financiers”, prévient M. Minami.

Le brillant tableau pourrait aussi être assombri par la réticence du patronat à augmenter les salaires, malgré de pressants appels du pied du gouvernement.

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Un cargo de fret dans le port de Tokyo le 8 avril 2013 (Photo : Yoshikazu Tsuno)

“Il n’est pas certain que la consommation continue de progresser, car les revenus des ménages stagnent”, avertit Julian Jessop, du centre de recherche Capital Economics.

L’effet serait dévastateur si la politique monétaire ultra-accommodante de la BoJ entraînait un décollage de l’inflation sans que les salaires suivent.

Le tournant risque d’intervenir lorsque l’Etat japonais va élever la taxe sur la consommation, de 5% à 8%, en avril 2014 si la croissance le permet.

“L’ironie, c’est que les bonnes statistiques du premier trimestre vont sans doute pousser le gouvernement à augmenter la taxe, ce qui pourrait faire replonger le Japon dans la récession à la mi-2014”, remarque M. Jessop.

Les économistes s’attendent à un surcroît d’achats avant cette échéance, puis à une chute de la consommation juste après. Le gouvernement aurait cette fois plus de mal à doper l’activité par la relance budgétaire, car M. Abe a promis un plan d’assainissement pour contrôler une dette gigantesque représentant 245% du PIB, selon le FMI.

L’archipel pourrait alors retomber dans l’alternance de phases de croissance et de récession qu’il connaît depuis 2008, dissipant le mirage de la reprise modèle aperçu depuis l’Europe.