A Sfax, on s’affaire toujours. Même si la conjoncture est difficile. Car, il arrive que cette région laborieuse doute. Choses vues et entendues dans la capitale du Sud.
Les rangées d’oliviers (près de 6 millions dans la région) et d’amandiers (près de 5 millions de pieds) bien entretenues, à l’entrée de la ville de Sfax, dénotent de l’abnégation de la population de ce gouvernorat du sud tunisien qui a toujours fait du travail un véritable allié. Idem pour l’intense circulation que connaît le centre-ville et le tintamarre des klaxons qui en disent long sur le vécu laborieux d’une région citée donc en la matière en exemple.
Mais lorsqu’on gratte un peu le vernis, on se rend compte que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur monde possible. Sur le long de tout le trottoir qui sépare en deux la rue Ali Belhaouane, à quelques pas de Bab Adiwane, la principale place de la ville, et en allant vers la gare des trains, un parking pour motocyclettes à moitié plein pour ne pas dire à moitié vide. Le parking en plein air fonctionne de 7 heures à 19 heures. «Cela traduit bien l’état de l’économie», sourit un client. Qui assure qu’il y a moins d’un an, on avait du mal à garer sa moto ici ou encore sa bicyclette. En clair : le chômage et la baisse d’activité sont passés par là.
Une contrebande «méchante»
Côté bicyclette, on en voit que très peu dans la capitale du Sud. Dans une rue qui fait face à «Chott El Kerkena» (la mer des Kerkenniens), un lieu très fréquenté, un réparateur de motocycles s’affaire devant le trottoir qui fait face à un atelier qui porte le nom de Mohamed Masmoudi. «Les bicyclettes, il y en peu à Sfax. Les habitants de la ville les ont troquées pour les motos. Même si rouler à bicyclette, c’est mieux pour combattre le cholestérol», affirme un client, barbe fournie, édenté, en bleue de travail, qui attend d’être livré d’une vieille moto bleue.
Avenue Habib Achour. Dans cette avenue, nouvellement inaugurée, Moncef K. tient une petite boutique de produits de quincaillerie. Cela fait près de quarante ans qu’il est abonné à ce commerce. Mais ce qu’il est train de vivre depuis le 14 janvier 2011, il dit ne l’avoir jamais vécu. Baisse d’activité, contrebande «méchante», mais aussi arnaque. «L’essentiel des clients vous donne des chèques “bidons“, des traites sans provisions et vous livre une avance avant de s’évaporer dans la nature. En un mot, il n’y a plus de moral», s’insurge-t-il.
Sur l’Avenue Hédi Chaker, qui fait face à la municipalité de Sfax, tee-shirt aux couleurs d’une marque de café, Imed, employé dans un magasin bien fréquenté, grille la seconde cigarette de cet après-midi brumeux, du 14 mai 2013. Il se plaint: «Je gagne 400 dinars par mois et je dépense 10 dinars par jour. Le compte est vite fait. Comment voulez-vous que je tienne le coup? Je suffoque».
Une manifestation sur l’olivier
Même son de cloche de la part de Mohamed E.N., employé d’une entreprise du secteur textile au chômage. Il est venu faire la causette avec sa «future» fiancée, Aïda, originaire d’Al Hancha, une ville située au Nord de Sfax, sur un banc public de «Chott El Kerkena».
«On parle de tout et de rien, notamment de nos fiançailles. Cela est devenu difficile, maintenant que je suis au chômage. Un drame. J’y croyais pourtant!», assure-t-il. «Tu ne vas pas m’abandonner maintenant», sourit Aïda. «Dieu ne nous laissera pas tomber», insiste-t-elle, en arrangeant son voile gris sur la tête.
Enseignant-chercheur à l’Université de Sfax et spécialiste des PME sfaxiennes auxquelles il a consacré des recherches, Mansour M. en connaît quelque chose des difficultés économiques du moment. «Nombre d’entreprises, qu’elles soient exportatrices ou non -le gouvernorat compte près de 720 entreprises industrielles- souffrent le martyr», fait-il remarquer. «La récession européenne, la contrebande et l’insécurité sont une réalité quotidienne. Baisse d’activité mais aussi recul de la volonté d’entreprendre. Je ne reconnais pas, par moment, les Sfaxiens qui sont nés pour entreprendre et innover! Mais attention, le tissu sfaxien a cette caractéristique d’être fait de petits métiers et de PME-PMI qui s’adaptent, sont patients et solidaires», ajoute-t-il.
Pour Samir Abid, directeur général de la CCIS (Chambre de commerce et d’industrie de Sfax), qui occupe un beau bâtiment à la rue du lieutenant Hamadi Tej, l’heure est loin d’être au pessimiste. «Il faut constamment retrousser les manches», revendique-t-il.
La CCIS vient d’organier avec succès le Forum d’affaires et de partenariat tuniso-sud-africain (10 mai 2013). «Je pense que les Sud-africains ont beaucoup apprécié notre région et ce qu’elle peut apporter aux échanges entre nos deux pays. Une mission en Afrique du sud est au programme pour 2013-2014», soutient-il.
Et pour le DG de la CCIS, le travail donc ne s’arrête pas là. Loin s’en faut. La Chambre ambitionne d’aller à la conquête d’autres contrées africaines: le Nigéria, l’Angola, entre autres. La CCIS s’affaire à organiser, par ailleurs, une grande manifestation multisectorielle en soutien aux entreprises notamment exportatrices : «Made in Tunisia».
Autre projet: une manifestation sur l’olivier, prévue pour le dernier semestre de l’année en cours.
En vous promenant à Sfax, impossible de rater quelques manifestations de la révolution du 14 janvier. Les barbelés sont dressés toujours, à l’Avenue Habib Bourguiba, devant l’entrée de la «Maison de France», le Consulat général de Sfax, devant laquelle on aperçoit deux militaires en arme.
A quelques encablures de là, sur l’Avenue Hédi Chaker, des slogans du Front national ont fait une apparition remarquée sur les murs appelant à l’égalité de tous. Une banderole du parti «Ettahrir» invitant les Sfaxiens à une rencontre prévue pour samedi 11 mai 2013, après la prière d’El Asr, évoquant les méfaits du colonialisme en Tunisie, est encore là.
Inutile de préciser que la ville connaît de temps à autre quelques manifestations ou sit-in. Un jour pour condamner le régime syrien de Bachar Al-Assad (10 février), un autre pour soutenir le régime pan-arabe de ce dernier 12 mai), un autre pour que l’on n’oublie pas si vite les souffrances des musulmans de Burma (Birmanie), sacrifiés sur l’autel d’une entente entre les grands de ce monde (11 mai).
Un débat qui ne semble intéresser outre mesure un porte-faix de près de soixante-dix ans. Blouse noire et chapeau de paille, notre homme négocie le prix d’une «course» avec un commerçant du quartier pas bien loin de Bab Adiwane. «Moi, je suis Sfaxien, Monsieur, je travaille», nous lance-t-il, tout en poussant énergiquement son unique outil de travail: une brouette.