Elle n’est ni la meilleure ni la pire Constitution du monde. De l’avis des experts qui la scrutent et dissèquent, de l’avis des élus de l’ANC qui ont participé à sa rédaction, de l’avis des instances internationales, les constituants tunisiens doivent, encore, revoir leur copie.
«L’Assemblée nationale constituante devrait combler les lacunes du projet de Constitution qui pourraient permettre à un futur gouvernement de réprimer toute forme de dissidence ou de restreindre les droits fondamentaux pour lesquels les Tunisiens ont livré un dur combat». Les propos sont clairs. Ils émanent d’Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.
Contestée par les opposants du parti au pouvoir, Ennahdha, et par quelques-uns même de ses représentants, dans le désintérêt quasi total des Tunisiens qui sont, selon certains sondages, plus de 70% à ne pas y comprendre les enjeux qui s’y trament, le brouillon de la Constitution, à discuter en plénière par l’ANC, pose problème. Le contraire aurait été étonnant.
Deux visions s’y opposent et font de sorte que la Constitution tombe dans l’opacité laissant trop places pour les interprétations, manipulations et autres contradictions.
En jeu, des marges à des interprétations pouvant rétablir la peine de mort, interdire l’avortement ou aller contre le respect des droits universels de l’homme… Il est, en effet, difficile de trouver des justificatifs à des articles qui disent une chose et son contraire. Nous citerons à titre d’exemple l’article 22 qui déclare que “Le droit à la vie est sacré, il ne peut lui être porté atteinte que dans des cadres fixés par la loi“. Mais comment le caractère sacré de la vie peut-il être préservé quand on y accole “dans le cadre de la loi”?
Prenant moins de gants pour le dire, certains n’y vont pas par quatre chemins et estiment que ce projet de Constitution est tout simplement une voie ouverte à la «chariaa».
Mohamed Haddad, président de l’Observatoire des religions et des libertés estime, suite à une journée de travail qui s’est tenu samedi dernier, que le préambule proposé dans la Constitution doit être remplacé par un court paragraphe qui fait référence à la révolution tunisienne en soulignant l’importance du rôle des jeunes. Exit le reste!
De l’avis du directeur de l’association «Al Bawsala», ONG indépendante, ce brouillon, bien qu’il comporte certains points positifs, comme la décentralisation, doit être modifié. Dans un entretien accordé à Tv5 monde, il déclare: «qu’il va falloir modifier, supprimer, particulièrement tout ce qui a trait à une lecture idéologique de ce projet de Constitution. On ne peut pas rédiger une Constitution qui est censée rassembler l’ensemble des Tunisiens, dans une phase de transition, après une révolution, en y ajoutant des tampons très idéologiques».
Acrobaties, mauvaise foie, incompréhensions, incommunications, marchandages, négociations… Le consensus tant revendiqué peine à être trouvé. Et c’est précisément sur l’aspect idéologique dans le préambule particulièrement qui présente les droits universels de l’Homme en les conditionnant à l’islam et la «spécificité tunisienne» qu’il se fracasse.
Si Mustapha Ben Jaafar pense peut-être encore que le projet de la Constitution tunisienne est le meilleur du monde, il n’en reste pas moins vrai qu’Ennahdha sait qu’elle n’a pas la majorité des deux-tiers pour voter le texte comme il est.
Si l’Anc échoue à valider une version consensuelle, il faudra aller au référendum. Cela serait avoir recours au pire des scénarii, car non seulement il va retarder le processus de transition mais il risque surtout de faire avorter le débat et hypothéquer dangereusement l’avenir du pays. Un référendum viendrait à être compris, énoncé ou pas, de la façon suivante: Etes-vous pour ou contre l’islam?
Pour le moment, nous sommes loin de cette option catastrophe.
L’actuelle Constitution en discussion est la troisième version. Les deux précédentes, qui ont été présentées en août et décembre 2012, ont bel et bien été rectifiées.
De plus, l’actuelle version récolte plusieurs avis favorables. Elle défend de nombreux droits fondamentaux, qu’ils soient civils, politiques, sociaux, économiques ou culturels, et comprend des améliorations par rapport aux textes précédents.
Cependant, et toujours selon Human Rights Watch, «elle contient aussi plusieurs articles incompatibles avec les obligations de la Tunisie en termes de droits humains qui découlent des traités internationaux, et qui pourraient compromettre la protection de ces droits». Or, l’un des principes du droit international est de faire en sorte que tout pays doive s’assurer que sa propre Constitution est compatible avec ses obligations en vertu de traités qu’il a ratifiés.
Aux dernières nouvelles, les révisions se font à grands pas.
Il semble que l’article 136 dans le chapitre final de la Constitution qui énonce qu’«aucune révision n’est autorisée pour l’affirmation suivante: l’Islam est la religion de l’État» coince.
Cet article devrait affirmer clairement que la mention de l’Islam comme religion d’État ou bien les références à l’Islam dans le préambule ne doivent pas être interprétées de façon à aller à l’encontre des droits et des libertés exposés dans la Constitution ou des conventions internationales sur les droits humains ratifiées par la Tunisie, et ne devraient pas déboucher sur une discrimination visant les adeptes d’autres religions ou les non-croyants.
Pour Habib Khedher, rapporteur général, cet article qui fait le plus polémique, est un leurre. La lecture selon laquelle «l’Islam est la religion de l’Etat qui ouvre la voie, selon certaines lectures, à l’Etat théocratique est un leurre. L’article 2 édicte le caractère civil de l’Etat tunisien. Ainsi que l’article 136, lui-même, qui dispose dans son alinéa quatre la nature civile du régime. De plus, l’Etat civil a trois fondamentaux: la citoyenneté, la souveraineté du peuple et la suprématie de la loi».
Le rapporteur général rajoute que cet Etat civil n’est nullement en conflit ouvert avec la religion. Il conclut en précisant que «cette Constitution est celle du peuple tunisien et de l’Etat tunisien, lequel, depuis sa création, entretient un rapport harmonieux avec l’Islam. Mais, de là à dire que l’article 136 jette les bases d’un Etat religieux, gouverné par un guide suprême, qui tire son pouvoir de Dieu, que nul n’a le droit de contredire faute de basculer dans l’apostasie, c’est un leurre, puisque le pouvoir législatif est entre les mains du parlement».
En attendant, les élus du peuple débattent de l’universalité des droits humains et ce qu’elle porte comme dangers comme notamment et toujours selon Habib Kheder ceux-ci: «Il faut savoir que si on lève certaines restrictions, la voie est ouverte au mariage homosexuel, entre autres, que la société tunisienne dans sa majorité refuse. L’universalité ne doit pas heurter les fondamentaux de la population, ni ses spécificités. Oui, les spécificités n’ont pas été précisées, mais il y a un compromis autour de cela, tel que la notion du sacré; le Coran est sacré, Dieu est sacré. Nous n’avons pas besoin d’académiciens pour les déterminer.
Toutes les lectures et corrections doivent être finies avant le 3 juin, date retenue, avec les réserves d’usage, pour le dépôt de la quatrième mouture au bureau d’ordre de l’ANC et pour sa transmission au président de la République et au chef du gouvernement.
Habib Khedher, rapporteur général qui a suscité bien des contestations ces dernières semaines dans l’exercice de ses fonctions, a déclaré que «cette Constitution est l’aboutissement de travail des constituants qui viennent d’horizons différents, qui relèvent de plusieurs partis, d’orientations politiques et d’idéologies distinctes».
Une fois encore, ils vont devoir le prouver et tous!