Les entreprises publiques sont-elles bien gouvernées? La question a dominé la table ronde, organisée, jeudi 16 mai 2013, par le Centre tunisien de gouvernance d’entreprise. Le constat est souvent amer.
Compte rendu.
Des piliers de l’économie nationale, des instruments de la politique sociale du pays, des fleurons des entreprises tunisiennes… Fayçal Derbel, président du CTGE (Centre tunisien de gouvernance d’entreprises), n’a pas manqué d’arguments pour décrire l’importance des entreprises publiques qui font plus de 10% du PIB tunisien. Une manière sans doute de dire qu’il valait bien la peine de consacrer une table ronde à «La gouvernance des entreprises publiques».
La cinquantaine personnes ayant participé, jeudi 16 mai 2013, à cette table ronde, organisée dans une salle de la Maison de l’entreprise de l’IACE (Institut arabe des chefs d’entreprise), ne sont pas venues pour rien. Tant le contenu était instructif.
Mais combien sont-elles ces entreprises publiques? Cent-quatre, souligne, Lotfi Lahbaieb, chef de division au Contrôle général des finances. Plutôt deux-cent-dix, précise Naceur Ben Hmida, président de la Haute commission des contrôleurs de l’Etat. Et pourquoi pas sept-cent-cinquante, assure Mohamed Al Arbi, directeur central à CNRPS (Caisse nationale des retraites et de la prévoyance sociale)? Ce nombre se confond avec celui des entreprises dont les employés sont affiliés au régime de la retraite des agents de l’Etat. Et on serait loin du compte puisque les retraites des employés de certaines entreprises publiques sont régies par la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale), dira un autre participant.
«La faiblesse de l’Etat fonctionnaire»
Un flou qui dénote de l’imprécision qui domine le vécu des entreprises publiques. A croire des participants, l’Etat ne connaît pas toujours, pour ainsi dire, toutes ses propres ouailles. On ne connaît ni le chiffre d’affaires global des entreprises publiques, ni leur bénéfice global, ni le total de leurs pertes…
Une réalité que Laurent Gonnet, cadre à la Banque mondiale résume d’une formule: «la faiblesse de l’Etat fonctionnaire». Tel est l’un des premiers enseignements d’une étude engagée depuis près de huit mois par la BM qui cherche à savoir, à la demande de l’Etat tunisien, si gouvernance des entreprises publiques rime toujours avec performance.
Président de l’Ordre des experts-comptables tunisiens, Nabil Abdelatif, appelle, à ce titre, à œuvrer en vue d’une «centralisation de la gestion de la participation de l’Etat». Qui prend des formes différentes : l’Etat est actionnaire à 100%, il est actionnaire majoritaire, il est actionnaire minoritaire et il fournit des aides.
Autre enseignement de l’étude de la BM: la nomination des administrateurs n’est pas toujours bien engagée. Pour Laurent Gonnet, la nomination des administrateurs dans les Conseils d’administration ne répond pas toujours au souci de compétence. Une compétence qui doit obéir à des critères en matière de connaissance des métiers, de l’audit, de l’informatique… Et le cadre de la BM d’appeler au renforcement des capacités techniques des actionnaires capables de renforcer le rôle de cette instance. Celle-ci ne maîtrise toujours pas le quotidien des entreprises publiques tunisiennes. Cette maîtrise est souvent le fait du PDG et du contrôleur de l’Etat.
Quid de l’information financière? Celle-ci manque de visibilité. Pourquoi ne pas publier les résultats des entreprises publiques sur le site web de celles-ci, se demande Laurent Gonnet. Les entreprises publiques ont l’obligation de publier leurs résultats financiers au Journal officiel des annonces légales, fait remarquer Rafik Kraiem, vice-président de la Cour des comptes. Qui précise que sept rapports de la Cour des comptes ont été publiés et sont donc disponibles pour le grand public.
Nous ne sortons pas toujours d’un «cercle vicieux»
Les entreprises publiques sont-elles toujours contrôlées? Pas aussi sûr que ça, souligne Naceur Ben Hmida. Il assure que des sociétés à capitaux mixtes (publics-privés) ne sont pas contrôlées. Idem pour les filiales des entreprises publiques. Et puis, les contrôleurs ont-ils toujours la politique de leurs moyens? Le corps des contrôleurs de l’Etat est constitué de quarante-neuf fonctionnaires, souligne Naceur Ben Hmida: quatre missions pour chacun en moyenne si l’on prend en compte le nombre d’entreprises publiques.
Et puis pourquoi un tel contrôle s’il n’aboutit pas toujours à une bonne efficacité, semble dire Laurent Gonnet qui fait remarquer, en outre, que nous ne sortons pas toujours d’un «cercle vicieux». «Le système est fait de sorte que l’Etat, se rendant compte de la nécessité d’assurer une plus grande transparence, va augmenter le contrôle et déresponsabiliser davantage le Conseil d’administration. Veillant, de bonne foi, à augmenter la dose de transparence, il va de nouveau ajouter une couche de contrôle.
Bref, nous sommes, en définitive, en présence d’une sorte de millefeuille dont le rendement n’est pas toujours celui que les entreprises et l’Etat recherchent», fait-il observer.
Et puis, on a plutôt tendance à nous soucier de l’application «administrative» des procédures que des «risques» de gestion pour l’entreprise, ajoute-t-il. Autant dire que la gouvernance des entreprises publiques mérite d’être revue et corrigée.