Il aura fallu quelques jours sous haute tension pour que Kairouan -le temps d’un congrès d’Ansar al-Chariaa qui a eu lieu sans avoir lieu et pas qu’à Kairouan- redevienne la capitale de la Tunisie.
Un flux de visiteurs s’est déversé sur la ville et des regards du monde entier se sont posés sur elle. Brusquement, Kairouan a fait l’ouverture des journaux télévisés et la une de la presse écrite nationale et internationale.
Avec quelques slogans religieux et quelques costumes de circonstances, la 4ème ville sainte du monde musulman est devenue une «City break» tunisienne courue par bien de monde! Dès samedi soir (18 mai 2013), on affirmait qu’il y avait déjà plus de journalistes que de salafistes à Kairouan!
Alors que de nombreuses agences avaient suspendu leurs excursions quelques jours auparavant vers la ville, le gouverneur de la région déclarait que la tenue de ce congrès contribuerait à relancer le tourisme. Il s’appuie sur le fait que, l’année dernière, une partie des populations était ravie de la tenue du second congrès salafiste dans leur ville. Une façon d’encourager le tourisme intérieur, probablement et encore, car les répercussions en termes d’images sur la destination sont désastreuses !
Kamel se souvient que l’année dernière aucun commerce n’avait chômé: «Tout a été vendu. En début d’après-midi, il n’avait plus une boisson de disponible et plus rien à manger. Tout s’est vendu. Ce congrès était une aubaine pour la ville qui souffre de l’oubli et du sous-développement depuis des décennies». Une façon de voir les choses qui change, pour le moins que l’on puisse dire, du discours politique ou sécuritaire qui (re)prône ces jours-ci.
A supposer que l’on suive le gouverneur dans son raisonnement, et s’il était aussi convaincu de cette «opportunité» pourquoi, hormis le déploiement sécuritaire, les autorités régionales n’ont-elles pas pris des dispositifs pour accueillir l’événement ou le para-évènement? Les bassins des Aghlabides ont-ils été nettoyés? Le fort de la vieille ville, qui est détruite un peu plus tous les jours, a-t-il été réparé? A-t-on rebouché les trous que l’on y fait en toute impunité? A-t-on procédé au nettoyage de la ville?
Au vu du contexte politique, ces questions peuvent paraître futiles. Pourtant, Leila A, opérant dans l’animation touristique, se les pose. Kairouan se meurt. Depuis des années déjà, elle n’arrive plus à accaparer même une part infime du tourisme tunisien. De moins de moins de passages circuits y sont effectués et la ville est réduite en étape technique ou en un arrêt d’une heure ou deux.
Banalisées, les chances de découvrir l’aspect culturel de Kairouan et ses attraits sont de plus en plus compromises, faisant chuter considérablement le nombre de touristes qui font activer la roue économique. Le parc hôtelier de Kairouan se limite à seulement 5 unités, dont quatre ont plus de 25 ans. Presque toutes les fabriques de tapis sont fermées. Même le savoir-faire est en train de disparaître en plus du commerce qui est complètement à l’arrêt.
Le propos de cet article évite particulièrement de parler du bras de fer entre certaines fractions salafistes et l’Etat tunisien qui a laissé Ansar Al-Chariaa se déployer depuis deux ans au point qu’elles peuvent désormais se targuer de pouvoir rassembler plus de 40.000 personnes. Par son inaction et son laxisme face aux diverses actions hors-la-loi des djihadistes, l’Etat peut revendiquer la paternité de l’assassinat du tourisme tunisien.
Le propos n’est pas aussi de s’étonner des voyages «soudains» de la classe dirigeante du pays qui inquiète au plus haut point. Car lorsque son pays traverse une des phases les plus délicates de son histoire, on annule tous les déplacements et rentre au bercail même si on est à l’autre bout du monde! Comment un pays livré à une confrontation annoncée peut-il rester sans président, sans chef de gouvernement, sans chef d’Etat major?…
Les responsables de la Tunisie en dérive sont partis en voyages officiels alors que plusieurs départements d’Affaires étrangères de nombreux pays émetteurs de touristes multipliaient les alertes à leurs ressortissants de ne pas se rendre en Tunisie et/ou d’y limiter leurs déplacements.
Ceci étant dit, à l’heure où les forces de l’ordre tentent de reprendre en main la situation sécuritaire et politique qu’on a laissé se scléroser, il convient de se poser un certain nombre de questions: Comment a-t-on laissé les salafistes détruire des hôtels, interdire et fermer des débits d’alcool? Qui a laissé les radicaux s’attaquer aux artistes, aux femmes, aux touristes? Qui les a laissés livrer des corans et faire des prédications dans des zones touristiques? Comment des élus du peuple à l’ANC et des hommes politiques du parti majoritaire au pouvoir peuvent-ils assister et légitimer les propos haineux et violents de partis djihadistes qui refusent l’ordre, l’Etat et la loi?…
La liste des dépassements est longue et la confrontation était autant évidente qu’inévitable. Dans les coulisses, on disait que la force publique ne pouvait pas intervenir avant qu’un «seuil de défiance» ne soit atteint. Autant dire, le voici atteint!
Est-ce trop tard? Probablement ou pas! Après le temps de la complaisance et de la faiblesse, voici venu le temps d’un serrage de vis qui est absolument nécessaire et dangereux. Comment rétablir l’ordre et la puissance de l’Etat sans confondre répression et retour d’autoritarisme?
Pour le moment, nul n’est en mesure de répondre à cette question. Ce qui est en jeu n’est absolument pas une saison touristique à sauver. Ce qui est en jeu n’est absolument plus un secteur qui a bien pris l’eau. Ce qui est en jeu n’est plus Kairouan à qui on a volé la vedette puisque ce sont les faubourgs de Tunis qui sont devenus le théâtre d’un nouveau phénomène: les «guérillas» de quartiers.
Ce qui est en jeu, c’est l’avenir d’un pays. L’avenir de la Tunisie.