Cour des Comptes – ISIE : L’Instance patauge dans des justifications trop polémiques pour être convaincantes

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Ce qui est étonnant dans le discours aussi bien de Kamel Jendoubi, ex-président de l’ISIE, que de certains membres de sa commission, suite au tollé soulevé par le rapport de la Cour des comptes (CC), sur la gestion de l’ISIE, est que d’emblée, ils se sont mis hors du temps, de l’espace, et ont affirmé que l’Instance supérieure indépendants pour les élections (ISIE) possédait l’immunité absolue.

Par conséquent, il n’est ni permis ni autorisé de la mettre sous la même coupe que les autres organismes publics nationaux. Personne n’a le droit de proférer des allégations à son égard, lesquelles, soit dit en passant, ont été vérifiées, sans être accusé d’être mêlé à des magouilles politiciennes et de chercher la petite bête à une organisation militante où les uns et les autres se sont sacrifiés par patriotisme et amour de la Tunisie…

Le message que le président de l’ISIE a voulu communiquer au peuple tunisien par force de déclarations fracassantes dans les médias, à travers une conférence de presse, est que lui et son organisme ne doivent pas être soumis aux lois et procédures en vigueur appliquées par la Cour des comptes en matière de deniers publics.

Ce qui est encore plus surprenant, c’est que ses interlocuteurs dans les organes de presse et autres se sont eux-mêmes pris au jeu, indignés par le mauvais traitement subi par l’ISIE de la part de la CC.

Ainsi, aux chiffres et aux faits exposés par la CC, les représentants de l’ISIE rétorquent par des déclarations hautement politiques. La forme a pris le dessus sur le fond. “Les mécanismes de contrôle de gestion ne doivent pas être appliquées sur nous. Nous ne sommes pas une administration ordinaire, nous ne pouvions pas évaluer nos besoins et nos dépenses et ne devions, par conséquent, pas être soumis aux contraintes des appels d’offres publics. D’ailleurs, le décret portant création de l’Instance le stipule…”.

Bizarre cette déclaration venant de Kamel Jendoubi, président de l’ISIE et soucieux de transparence. Car parce que c’est la première fois qu’une instance indépendante supervisait la tenue des élections, ce qui n’existe même pas dans les vieilles démocraties, il fallait être très regardant autant sur le fond que sur la forme. Il fallait verrouiller la gestion de l’instance de manière à ne laisser passer aucune faille pour que sa crédibilité et son intégrité ne soient pas touchées et par conséquent la crédibilité des élections elles-mêmes.

Comment pouvons-nous désormais croire en des élections parfaites lorsque 3.632 agents formés par l’ISIE se sont absentés le jour même des élections dans les régions cédant la place à 2.535 personnes non formées?

M. Jendoubi a également omis de dire que, selon les mêmes décrets 3 et 7 qu’il n’a pas cessé de citer, le budget de l’instance n’était pas, a priori, soumis au contrôle comme requis dans les marchés publics mais qu’a posteriori ses dépenses l’étaient…

Un budget mal réparti et mal distribué

Les ressources financières de l’ISIE ont atteint les 37 millions de dinars outre 418 mille dinars provenant d’aides internationales et des établissements publics. Les dépenses se sont élevées à 42,2 millions de dinars dont presque la moitié (20,7 MDT) a été consacrée aux salaires et primes, et 21,5 MDT investis dans l’acquisition des équipements et la rétribution de services.

L’ISIE a également profité à titre gracieux d’équipements informatiques provenant du ministère de l’Education nationale, du CNI et des moyens de transport gratuits, sans parler de la participation du ministère de la Défense, lequel n’a pas été rétribué à ce jour.

La première partie de l’article ci-présent consacrée au rapport de la CC, a concerné la gestion des ressources humaines. Dans cette deuxième et dernière partie, il s’agit d’énoncer les défaillances touchant aux acquisitions de l’ISIE.

Multiples défaillances

La Cour des comptes a ainsi relevé le cumul de différentes fonctions par une même personne, l’absence de précisions dans la définition des besoins de l’Instance et le non recours aux avantages compétitifs entre différents fournisseurs. Pire, les procédures suivies par les personnels de l’Instance ont manqué de transparence et n’ont pas respecté le principe de l’égalité des chances, tout comme on a observé l’existence de conventions approuvées et d’autres non agréées et non enregistrées. Des sommes situées entre 114  et 524 mille dinars ont été octroyées à certains vis-à-vis sans aucun contrat écrit.

Ainsi, l’ISIE a acquis, au mois d’octobre 2011, 25.000 flacons d’encre pour le prix de 677 mille dinars, soit une quantité destinée à 15 millions d’électeurs et justifiée par les premières prévisions se rapportant au nombre d’électeurs… Un nombre qui ne pouvait de toutes les façons et dans tous les scénarios jamais dépasser les 7 millions de Tunisiens…

400 voitures ont été, d’autre part, louées par l’Instance centrale et les instances régionales au pris de 1,1 MDT. Il n’y a eu ni définition du nombre de voitures à louer ni la période sur laquelle devait s’étaler les locations. Une défaillance expliquée par le manque d’expérience de l’ISIE…

30.000 urnes électorales ont été procurées à l’ISIE pour le montant de 230 mille dinars. L’un des trois fournisseurs consultés avait revu son offre à la baisse. Sa proposition a toutefois été repoussée sous prétexte qu’il risquait d’assurer tardivement la livraison des urnes. Aucune négociation n’a eu lieu pour étudier avec lui la possibilité d’être dans délais…

L’Instance a également consulté trois entreprises pour l’acquisition d’applications informatiques en finance et en gestion. Elle a signé, contre toute attente, un accord, avec une autre société qui n’a pas participé à la consultation, et dont le montant s’élève à 237 mille dinars. Prétexte invoquée, aucune société d’application informatique ne pouvait adapter son offre aux besoins de l’ISIE, sauf la prédestinée de l’ISIE…Cela s’appelle justifier l’injustifiable…Mais l’Instance bénéficie de «l’immunité»…

Plus encore, lors de l’inventaire effectué par les services de la Cour des comptes, on a relevé la disparition de 24 ordinateurs portables, 70 appareils de téléphonie fixes, 9 imprimantes, 6 fax et 2 climatiseurs. 54 téléphones portables dont le prix s’élève à 21,6 mille dinars n’ont pas été rendus à qui de droit. Le CNI (Centre national de l’Informatique) a, pour sa part, déploré la non récupération de 205 ordinateurs portables qu’il a mis à la disposition de l’Instance, 234 scanners et 126 imprimantes.

Le ministère de l’Education nationale n’a pas pu récupérer des équipements que le contribuable a payés pour 93 mille dinars. Soit 32 ordinateurs portables, 37 ordinateurs fixes, du matériel informatique et 18 imprimantes. 

Comment justifier ces «disparitions»? Par négligence? Un sentiment d’impunité? Nonchalance? Ou comme le dit un dicton bien de chez nous, parce qu’il s’agit de «Rizk Il Beyliks»?

Explications de l’ISIE… 

Pour expliquer toutes ces défaillances, l’argument le plus invoqué par l’ISIE a été celui du manque d’expérience et les délais très courts entre la création de l’Instance et ceux de la tenue des élections. 

Très peu convaincants comme arguments… Car l’humilité veut que lorsqu’on se sent incapable d’assurer une mission, on la laisse à plus expérimentés que nous… Et lorsque nous sommes incapables d’être dans les délais, il fallait au moins oser la transparence dans une phase postrévolutionnaire et déclarer au peuple que pour la fiabilité des élections, il fallait les repousser encore plus. Nous n’étions pas à 2 ou 3 mois près…

Pourquoi ne pas avoir nommé des experts dans la gestion financière et administrative? Pourquoi ne pas avoir appliqué les principes élémentaires de bonne gouvernance et qui ne relèvent pas des secrets des dieux dans l’acquisition des équipements et des fournitures?

Pourquoi ne pas avoir veillé sur les biens de l’Etat en instaurant un système de contrôle qui ne laisserait à personne l’opportunité de s’approprier ce qui ne lui appartient pas?

Nous pourrions continuer pendant des heures et des jours à ce rythme, mais l’ISIE n’a pas de réponses à nos “pourquoi“, sauf celle de se fourvoyer dans des polémiques trop politisées pour être concluantes…