«Ils veulent nous mettre au pas et prendre en otage la justice, mais ils n’y arriveront pas, car nous comptons user de tous les moyens de lutte pour combattre la mainmise sur les magistrats», déclare avec beaucoup de détermination mais aussi beaucoup d’amertume Raoudha Laabidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens.
«Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout», disait Albert Camus. Et dans la Tunisie d’aujourd’hui, l’enjeu est de taille et le risque est gros. Car lorsqu’on veut instaurer des régimes totalitaires, on met au pas la justice et on cloue le bec aux médias.
Les jugements rendus par le tribunal de première instance à l’encontre des agresseurs de l’ambassade des Etats-Unis, laisse planer un doute sérieux quant à l’indépendance de la justice et sa crédibilité au vu des événements tragiques qui ont eu lieu en cette journée du 14 septembre 2012.
Condamner à 2 ans avec sursis des personnes, dont, rappelons-le, 4 ont trouvé la mort lors de l’attaque, qui ont attaqué une ambassade étrangère, ont incendié plus d’une centaine de voitures et ont terrorisé le personnel, c’est non seulement ridicule mais relève presque de l’absurde.
Dans le communiqué qui a suivi l’annonce du verdict, les diplomates américains se déclarent «profondément inquiets par les condamnations avec sursis. Les verdicts ne correspondent pas de manière appropriée à l’ampleur et à la gravité des dégâts ainsi qu’à la violence qui ont eu lieu le 14 septembre 2012…».
Plus loin encore, ils rappellent qu’il «incombe au gouvernement tunisien et en vertu du droit international de protéger le personnel et les missions diplomatiques présents en Tunisie. Le gouvernement tunisien a déclaré publiquement son opposition à ceux qui ont recours à la violence. Par ses actions, le gouvernement tunisien doit également démontrer qu’il n’y a aucune tolérance envers ceux qui encouragent et utilisent la violence pour atteindre leurs objectifs. Le verdict du 28 mai a échoué à cet égard».
C’est également un aveu américain de l’échec de la Justice tunisienne de faire Justice…
A la Mecque des lois, la Constituante, les choses ne vont pas mieux et les députés démocrates et indépendants n’arrivent pas à imposer un cadre acceptable pour la garantie d’une justice indépendante: «Il est impossible de garantir l’indépendance de la magistrature tant que le mécanisme de la révocation relève des prérogatives du ministre. Pire, la composition même de l’Instance supérieure provisoire de la magistrature approuvée dernièrement par la Constituante ne plaide pas dans ce sens.
Cette instance, formée de magistrats, d’indépendants et de 5 membres de la Constituante, ne nous rassure pas par le fait même que les constituants peuvent représenter la majorité au pouvoir.
Ensuite, imposer le passage obligatoire des mesures disciplinaires par le ministre fait de nous, juges et magistrats, des otages aux mains de l’exécutif sans parler des larges prérogatives accordées à l’exécutif pour ce qui est de la mutation et de la promotion des magistrats», déplore Raoudha Laabidi.
Pour la présidente du Syndicat des magistrats, il y a volonté délibérée de marginaliser les représentants de la profession. Suite à l’incendie criminel dans la maison d’un juge à Bizerte, lequel s’est rendu compte à 2h du matin alors qu’ils dormaient -lui, sa femme et ses trois enfants- que sa maison était en train de brûler, on convoque une réunion d’urgence où les juges du tribunal de première instance sont présents, les représentants des ministères de la Justice et de l’Intérieur et le bâtonnier mais ni les représentants du Syndicat ni ceux de l’Association.
« Inacceptable», dénonce Mme Laabidi qui estime que toutes les parties prenantes auraient pu arriver à un consensus si seulement on se référait aux normes internationales pour ce qui est de l’élaboration des lois se rapportant au pouvoir judiciaire, le simple fait que le pouvoir de révocation des juges soit tenu par le ministre exprime la résolution des autorités publiques à tenir les magistrats en laisse.
La preuve, il y a des magistrats révoqués qui ne comprennent pas à ce jour pourquoi ils l’ont été et dont les dossiers traînent en attendant les verdicts définitifs. «Ce n’est pas comme cela que nous pouvons réaliser une justice indépendante», indique Me M.A.
Pour la nouvelle Tunisie, la notion d’“indépendance“ de la justice requiert une importance toute particulière, dans un contexte de désintégration «voulue» des institutions de l’Etat et de l’instauration, d’un nouveau régime. Pour avoir la paix, il faut que la justice fonctionne, estime-t-on aux Nations unies.
Dans la charte de l’ONU de 1945, les nations fondatrices ont résolu de «créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et au respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international». L’objectif prôné était de respecter les droits de l’Homme et de renforcer le rôle des protecteurs de ces droits.
La justice ne sert pas qu’à sécuriser citoyens et contribuables mais aussi partenaires étrangers et investisseurs.
Une justice mise sous la coupe de l’exécutif ne rassure pas, ne sécurise pas, n’apaise pas et ne tranquillise pas et les opérateurs économiques domestiques et étrangers mais également les pays partenaires de la Tunisie.
Parler d’une justice indépendante dans notre pays aujourd’hui relève de l’utopie avec un pôle judiciaire qui dépend du Premier ministère et par la même de conseillers travaillant dans l’ombre dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants; certaines personnes vont même jusqu’à dire que c’est Noureddine Bhiri qui est le maître à bord, ce qui revient à dire que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge…
Quant au nouveau ministre de la Justice, «nous avons la nette impression qu’il est plus soucieux de garder sa place que de s’occuper de l’indépendance de la justice», raille un magistrat.
Mais le pire est à venir, assure la présidente du Syndicat, car il paraît que la Constitution est minée quant à l’organisation du pouvoir judiciaire: «Cela ne passera pas comme sur des roulettes, je vous promets que nous ne reviendrons pas en arrière et que nous userons de tous les moyens de lutte à notre disposition et d’autres auxquels on ne s’attend pas pour préserver notre profession et notre indépendance».