Le déficit de la balance alimentaire en Tunisie s’est élevé, au cours des quatre premiers mois de 2013, à 294 MDT, aggravé, d’après des experts, par l’habitude de bon nombre de consommateurs, de gaspiller de grandes quantités de pain, produit de base subventionné par l’Etat et qui fait, presque, partie intégrante des trois repas des Tunisiens.
En 2007, une étude statistique réalisée par le ministère de l’Agriculture avait révélé que les Tunisiens gaspillent l’équivalent de 900.000 quintaux de farine par an, soit entre 20 et 25% de leur consommation du grand pain et entre 10 et 15% de celle des baguettes.
Pourtant, assurer “le pain quotidien”, toutes variétés confondues, demeure le souci majeur de l’Etat. Celui-ci importe 80% de ces besoins annuels en blé tendre, céréale nécessaire pour la fabrication du pain, ce qui fait que 4 baguettes sur 5 sont importées.
Les céréales ont figuré parmi les principales importations de la Tunisie durant la période 2007-2011, soit 51%, suivies de l’huile végétale (18%) et du sucre (11%).
Pour cette année (2013), l’importation des céréales a coûté à l’Etat près de 1,2 milliard de dinars, un coût qui pourrait augmenter au vu du déficit pluviométrique vécu au Centre du pays et qui ne sera pas sans impact sur les grandes cultures en général et la production céréalière en particulier, a indiqué à TAP, Abderrahman Chafai, expert et spécialiste en économie agricole.
Plusieurs autres experts estiment que le gaspillage du pain subventionné en Tunisie est un signe précurseur de l’existence d’un problème dans le système de sécurité alimentaire et aussi annonciateur d’autres difficultés structurelles concernant le secteur agricole.
Cette question de sécurité alimentaire est, pourtant, “vitale” en Tunisie, de l’avis de certains décideurs politiques, d’autant plus que le pays est en train de vivre un déficit pluviométrique, notamment, au Centre, lequel pourrait mener à une réduction de la production céréalière, dont la moyenne ne dépasse pas déjà 15 millions de quintaux par an.
De l’autosuffisance à la sécurité alimentaire!
Abderrahmen Chafai, définit la sécurité alimentaire comme étant “l’acquisition des produits alimentaires nécessaires pour toute la population, soit à travers la production nationale ou via l’importation régulière avec une garantie du pouvoir d’achat pour l’obtention de ces produits”.
Cet expert qui dirige le Centre national des études agronomiques au Ministère de l’agriculture, a fait observer que la Tunisie garantit 50% de ses besoins en céréales, soit 70% de blé dur, 20% de blé tendre et 50% d’orge.
Les superficies consacrées aux cultures céréalières s’élèvent à 1,5 million hectares (ha), dont 850 mille ha situées au Nord du pays et le reste dans le Centre et le Sud. Ces terres ont atteint leur seuil d’exploitation, ce qui exige un surcroît d’efforts pour améliorer leur rendement, d’après l’expert.
Par ailleurs, il suggère comme alternative l’amélioration des cultures irriguées (60 mille ha actuellement) pour aider à réaliser la sécurité alimentaire, l’intensification des semences et l’option pour des semences adaptées au climat semi-aride de la Tunisie.
L’expert considère que la subvention du pain en Tunisie est devenue, dans un sens, une problématique pour le secteur céréalier en général. Autrement dit, les Tunisiens continuent de gaspiller du pain parce qu’ils ne dépensent pas trop pour l’acheter.
Selon lui, la Tunisie est parvenue, depuis plusieurs années, à réaliser son autosuffisance en matière de fruits et légumes, de l’huile d’olive, des dattes, du lait, des viandes blanches et rouges et des œufs.
“Cela ne doit pas occulter, toutefois, les problèmes auxquels fait face le pays durant les périodes de consommation de pointe et celles ou de fortes baisses de production sont enregistrées”, a-t-il tempéré.
Il a recommandé, pour résoudre ces problèmes, le développement des études scientifiques agronomiques pour trouver des solutions à long terme et l’amélioration des politiques de stockage, de conditionnement et d’industrialisation.
La sécurité alimentaire est garantie en Tunisie
Le directeur général des études et de développement au Ministère de l’agriculture, Belgacem Mnasri, a fait valoir que “la sécurité alimentaire est durablement assurée en Tunisie puisque l’alimentation est disponible à des prix raisonnables et dans tous les endroits”.
Il a rappelé que les cultures céréalières en Tunisie restent dépendantes de la pluviométrie. La production céréalière avait atteint, pendant des années de fortes pluviométries, des records de 29 millions de quintaux, se souvient-t-il.
Il faut modérer cette dépendance par l’amélioration des productions des cultures irriguées, recommande le responsable, insistant sur la nécessité de développer, en parallèle, la recherche agronomique.
D’après lui, il est possible de tirer vers le bas le taux de déficit commercial, pour peu que les conditions de paix et de la sécurité se réunissent dans le pays.
Impératif d’améliorer l’environnement de production
L’ex-président de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche, (UTAP), Ahmed Hnaider Jarallah, estime que la préservation de la sécurité alimentaire passe, obligatoirement, par l’amélioration de l’environnement de production, le développement du capital destiné à l’investissement agricole et la résolution des problèmes fonciers des exploitations agricoles.
Il a évoqué, dans le même contexte, l’impératif de trouver des solutions au morcellement des terres agricoles, dont les superficies de 75% d’entre elles sont moins de 10 hectares.
M. Jarallah a insisté aussi sur la nécessité de développer le système d’assurance agricole, surtout que le secteur est exposé, désormais, à plusieurs risques naturels ainsi qu’à d’autres catastrophes telles que les incendies.
Le président du syndicat Tunisien des agriculteurs, Laith Ben Bicher, considère, lui, que la Tunisie gagnerait beaucoup à réviser tout le système agricole national et aussi à revoir les méthodes de gestion des filières agricoles en vue d’assurer leur efficacité et leur pérennité.
“Avec la tendance à la libéralisation totale des échanges agricoles et au vu de la fluctuation des prix des produits alimentaires de base sur les marchés mondiaux, le pays est appelé à renforcer sa capacité productive, à protéger le produit national des importations non étudiées et à mettre en place un programme ambitieux pour la mise à niveau du secteur agricole”, suggère M. Ben Bicher.
WMC TAP