Jamel Gamra, ministre du Tourisme, se rend souvent dans les régions du pays. Il devrait s’y rendre encore plus souvent car il y prononce des vérités limpides que peu dans son gouvernement prononcent. Mais qu’a-t-il dit au juste?
Outre le fait qu’il est apolitique, qu’il le demeure et le restera, il a dit la même chose à Nabeul, Paris, Alger, qu’à Moscou.
Que l’Assemblée nationale constituante (ANC) devait finir son «destour», que les élections devaient être organisées au plus vite, que les prédicateurs n’ont pas leur place sur les plages de Hammamet, que la loi devait être appliquée contre ceux qui la transgressent, et qu’une feuille de route respectée était le meilleur gage que l’on puisse donner au peuple tunisien et au mode qui nous observe.
En visite avant dernièrement au Kef, il s’est adressé, sans langue de bois et jamais un mot plus haut que l’autre, aux officiels, aux acteurs du tourisme et de la société civile ou encore aux artisans avec la même franchise. Il précise que l’ampleur du chantier est colossale, que l’héritage est lourd mais qu’il faut en tirer le meilleur. Le tourisme est vital au pays, indépendamment de qui gouverne ou gouvernera le pays.
Ceci dit, sur le terrain, la réalité est dure. La gifle, très virulente, est d’autant plus douloureuse quand les monuments se délabrent et sont pillés, quand le peu d’infrastructure existante est détruite et que des métiers et des savoir-faire disparaissent.
Au Kef, il y a à peine 5 hôtels classés sur sept, le temple des eaux est pillé, le cimetière juif fait l’objet de fouilles anarchiques de chercheurs de trésors, les murs de la Kasbah sont «restaurés» par un entrepreneur de travaux publics devant la quasi démission de l’Institut national du patrimoine (INP) et du ministère de tutelle, à savoir celui de la Culture.
Faire de Kef une destination touristique est une évidence au vu des richesses de la région. Devant l’ampleur du chantier, même les plus enthousiastes se fracassent devant les conflits d’intérêts, les lourdeurs administratives, la démission des pouvoirs locaux, le découragement des acteurs principaux, la réticence des investisseurs…
Même si les ressources étaient disponibles, ce qui est loin d’être le cas, il faudrait du temps, beaucoup de temps pour que le tourisme culturel tant réclamé devienne autre chose qu’un rêve pieux. Il faut donc remotiver les troupes et cela est particulièrement difficile quand celles-ci n’ont pu obtenir le minimum, à savoir des toilettes publiques réservées aux touristes depuis plus de 25 ans !
Passer des paroles aux actes…
Vous l’avez bien compris, la tâche de Jamel Gamra n’est pas aisée. Conscient qu’il a peu de temps, il répète à qui veut l’entendre que sa mission finit à la fin de l’année. Pragmatique, il a opté pour quatre défis à relever à très court terme: veiller sur l’environnement, la sécurité et la qualité des services et œuvrer à un maximum de promotion en vue de réussir la saison 2013.
Pour cela, il se déploie sur les points des frontières. Hier il s’activait à Sakiet Sidi Youssef par où transitent quelque 30.000 Algériens pour passer leurs vacances chaque été en Tunisie; il a débloqué des fonds pour construire une route et débloquer l’épineux problème de la décharge d’ordure à Djerba; il a promis l’ouverture d’un commissariat régional du tourisme au Kef (CRT) si le Conseil régional du tourisme se met en place, réagit aux diverses sollicitations, devient une force de propositions…
Le Conseil régional du tourisme, voilà donc l’enjeu réel que l’actuelle gouvernance est en train de mettre en place! Jamel Gamra précisera sa pensée au cours d’une réunion avec le gouverneur de la région: «Ce Conseil sert à ancrer le produit dans sa région. Les régions doivent savoir mettre en avant leurs atouts. C’est à elles de développer et d’attirer l’investissement touristique. Les municipalités sont un des moteurs du développement touristique».
Composés du gouverneur, des représentants des ministères concernés par la chose touristique, comme l’Intérieur, la Culture et l’Equipement, ces Conseils ont pour mission de travailler avec la société civile, les fédérations professionnelles et de se déployer sur l’animation des sites, l’identification des projets, l’inventaire des atouts à convertir…
Gamra est-il soutenu par le gouvernement ?
Au terme d’une journée au Kef avec toute l’équipe du ministère du Tourisme tunisien, outre de saluer le discours franc de Jamel Gamra, il ressort que le défi est loin d’être facile à relever. Peut-on espérer que la décentralisation se mette rapidement en place afin de ne plus attendre que les décisions viennent de la capitale au profit de régions?
Pour enclencher le progrès, il faut de l’audace. L’audace, c’est de faire dans des moments difficiles des choix courageux pour préserver l’emploi, pour anticiper les mutations. Autant dire qu’il faille mettre en actes ses propres paroles… Est-ce possible? Le parler juste et honnête de Jamel Gamra est-il porté par l’ensemble de ceux qui ont la lourde tâche de reconstruire le pays? Ceci est bien une toute autre question!
Outre ses propos et de son engagement auprès des populations, une anecdote révèle tout le «gap» entre les générations. Dans le fort du Kef, Jamel Gamra profite d’un mini-concert de jeunes de 15-17 ans. Micro à la main, le Dj Wael récite une chanson de rap très anti-gouvernement. Le texte accuse les ministres de vols, de corruption, de détournement de fonds…
Un mot pas plus haut que l’autre, le ministre du tourisme s’adresse aux jeunes: «Je ne suis pas voleur, je suis venu travailler mon pays et lutter contre les vols et la pauvreté avec vous. Vous et moi sommes du même bord!». A ces touchants propos, le jeune rappeur précise que cette chanson est antérieure à ce gouvernement!
Sacrée révolution! Si la révolution du tourisme n’est pas pour demain, celle de la liberté d’expression est bel et bien une réalité. Ces jeunes issus de la révolution sont les vrais bâtisseurs de la Tunisie de demain. Espérons que le meilleur est à venir !