ès de Waynesburg, en Pennsylvanie le 13 avril 2013 (Photo : Mladen Antonov) |
[12/06/2013 06:41:13] HOUSTON (Etats-Unis) (AFP) La pétrochimie et la chimie américaines, moribondes il y a encore cinq ans, ont entamé une spectaculaire renaissance grâce à l’afflux de gaz de schiste très bon marché, rebattant les cartes du secteur et suscitant l’inquiétude en Europe.
“C’est simple, il y a juste tellement de matière première dont il faut faire quelque chose”, souligne Chuck Carr, expert du secteur chimique au cabinet IHS.
“Et donc tout le monde se dit: dépêchons-nous de construire quelque chose parce qu’avec ce prix du gaz, c’est juste de la valeur pure”, explique-t-il lors d’une visite de presse au Texas, coeur de la pétrochimie américaine.
Car si l’industrie américaine toute entière peut désormais réduire sa facture énergétique avec un gaz presque trois fois mois cher qu’en Europe et cinq fois moins qu’en Asie, la chimie en profite plus que tout autre: au-delà d’une simple source d’énergie, ce gaz est la matière première pour fabriquer nombre de produits, en premier lieu du plastique.
L’American Chemistry Council (ACC), principale fédération de la chimie américaine, recense aujourd’hui 110 projets d’investissement annoncés aux Etats-Unis, pour un total de 77 milliards de dollars, alors qu’aucun de ses membres ne prévoyait d’investir dans le pays pas plus tard qu’en 2008.
Si tous ces projets voient le jour, l’ACC prévoit 46.000 nouveaux emplois directs, plus 200.000 sous-traitants, dans un secteur tombé d’un pic de 1,1 million d’emplois en 1981 à moins de 800.000 il y a peu.
“Cela fait 20 ans que je travaille dans la chimie et pendant longtemps il n’était question que de réduction de la demande, de restructurations ou de choses comme ça. Maintenant on est en pleine renaissance”, témoigne à l’AFP Martha Moore, économiste de l’ACC.
Sur les seuls deux derniers mois, 13 nouveaux projets ont émergé.
ès de Waynesburg, en Pennsylvanie, le 13 avril 2012 (Photo : Mladen Antonov) |
Dans les premiers gisements exploités, les foreurs sortaient essentiellement du méthane. Mais depuis 2010, confrontés à une faible rentabilité, ils ont privilégié le pétrole de schiste et les “wet gas”, des gaz contenant d’importantes quantités de butane, de propane et surtout d’éthane.
“Pas de miracle” pour l’Europe
Or ces gaz dits “liquides” sont très utiles puisqu’ils peuvent se substituer au naphta, un composant du pétrole dont les prix sont restés très élevés, pour être transformés en produits (polyéthylène, polypropylène, butadiène) à la base de la chimie mondiale et d’innombrables objets de grande consommation.
L’éthane étant aujourd’hui près de trois fois moins cher que le naphta, les pétrochimistes se retournent vers les Etats-Unis après une décennie de délocalisations.
Les usines pétrochimiques à l’arrêt ont été redémarrées, d’autres ont vu leurs capacités augmenter, et toutes tournent à plein régime, selon les industriels.
Exemple frappant, Lyondell Basell, géant américain, est passé de la faillite en 2009 à des profits record l’an passé.
“Si vous regardez la ligne +Etats-Unis+ des profits de ces groupes pétrochimiques, vous constaterez que c’est souvent 80% des bénéfices totaux”, observe Patrick Pouyanné, patron de la division raffinage-chimie de Total.
S’agirait-il d’une nouvelle bulle qui explosera lorsque les prix du gaz américain remonteront avec l’ouverture dans quelques années de ports d’exportation, le lancement de centrales électriques au gaz, les difficultés financières de certains foreurs, voire de possibles restrictions sur la technique risquée pour l’environnement de la fracturation hydraulique?
“Ce n’est pas ce que nous prévoyons, même si l’industrie a tendance à créer des surcapacités”, répond Walter Hart, un autre analyste d’IHS.
Car même au prix actuel (d’environ 4 dollars/MBTU) du gaz, l’équivalent de trois décennies de consommation de gaz aux Etats-Unis peut être produit rentablement, selon le cabinet, de quoi écarter l’hypothèse d’une remontée forte des prix.
“Il suffit que le prix remonte un peu pour que quelqu’un ait intérêt à rouvrir une vanne quelque part dans le pays”, ce qui fait redescendre les cours, fait valoir Chuck Carr.
Les plus exposés à la nouvelle concurrence américaine sont l’Asie et l’Europe, où les usines pétrochimiques fonctionnent principalement au naphta.
En Asie, notamment en Chine, “on voit déjà les taux d’utilisation des usines baisser, autour de 85%, quand ils étaient à 100% ou 110%”, note Chuck Carr. En Europe, où on tourne déjà à peine à 70%, il faut selon lui s’attendre à des “réductions de capacité”, c’est-à-dire des fermetures partielles ou totales d’usines.
La concurrence américaine se fera encore plus rude quand les nouvelles usines américaines en projet seront inaugurées, probablement à horizon 2017-2020.
Cela laisse quelques années pour anticiper, “mais il n’y aura pas de miracle”, avertit Patrick Pouyanné.