Espionnage des communications : l’UE hausse le ton

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Utah (Photo : George Frey)

[12/06/2013 14:31:59] BRUXELLES (AFP) L’Union européenne, très sourcilleuse sur la protection des données, a durci le ton face aux Etats-Unis en lui demandant des clarifications sur son programme d’espionnage des communications et en laissant entendre que cette affaire pourrait se répercuter sur les négociations de libre-échange transatlantique.

Exprimant de “sérieuses inquiétudes” pour les droits fondamentaux des citoyens européens, Bruxelles a demandé aux Etats-Unis “des explications” sur son programme Prism, dans une lettre adressée par la commissaire européenne chargée de la Justice, Viviane Reding, à son homologue américain, Eric Holder, avant une rencontre prévue vendredi à Dublin.

Prism visait-il uniquement des résidents américains ou principalement des citoyens étrangers? Quelle est sa portée? Est-il limité à des cas individuels? Bruxelles attend “des réponses rapides et concrètes” à toutes ses questions sur ce programme qui permettrait aux services de renseignement américains de surveiller les données circulant sur les serveurs des grands groupes informatiques comme Google et Facebook.

La lettre s’accompagne d’une mise en garde: ce nouveau clash sur l’épineux dossier de la confidentialité des données, qui a déjà empoisonné les relations entre l’UE et les Etats-Unis ces dernières années, pourrait avoir des répercussions sur les négociations commerciales entre les deux continents.

“Comme vous le savez, la Commission européenne est responsable devant le Parlement européen, qui devrait probablement évaluer la relation transatlantique à la lumière de vos réponses”, écrit Mme Reding.

“Nous ne pouvons pas sacrifier la protection des données pour un accord avec les Etats-Unis”, a également prévenu le président du groupe socialiste au Parlement européen, Hannes Swoboda. Un éventuel accord de libre-échange devra être approuvé par les eurodéputés.

L’existence du programme Prism a été défendue par le président Barack Obama, qui a indiqué qu’il “ne s’appliquait pas aux citoyens américains” ni aux “personnes qui vivent aux Etats-Unis”.

“On justifie ce système en disant qu’il n’est pas applicable aux Américains, mais seulement aux étrangers, et les étrangers c’est nous, les Européens!”, s’est offusqué le chef de file des Libéraux européens, l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt.

Par le passé, l’UE a déjà reproché à plusieurs reprises aux Etats-Unis de violer la vie privée des citoyens européens. Mais tout en négociant des garde-fous, elle a lâché du lest au nom de la lutte anti-terroriste.

Depuis 2010, le Trésor américain peut accéder aux données bancaires des citoyens européens, gérées par la société Swift, basée à Bruxelles.

Signé au terme de difficiles négociations, cet accord prévoit toutefois le feu vert d’Europol préalablement à tout transfert de données, et un représentant de l’UE à Washington est chargé de vérifier l’usage qui en est fait.

En 2012, l’UE approuvait le transfert aux autorités américaines des données sur les passagers des vols transatlantiques, dites PNR (Passenger name record), à condition que leur utilisation soit limitée à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité.

Mais en avril, le Parlement a recalé la création d’un tel fichier en Europe, car jugé trop intrusif.

Prism “est une violation de l’esprit de tous les accords que nous avons avec les Etats-Unis, tels que Swift ou PNR”, a averti M. Swoboda.

L’UE négocie actuellement avec Washington un accord qui permettrait à ses citoyens d’avoir un droit de recours juridictionnel aux Etats-Unis si leurs données font l’objet d’un traitement illicite. Ce droit est déjà accordé aux citoyens américains en Europe.

Si Mme Reding évoque “systématiquement” les droits des citoyens lors de ses échanges avec les autorités américaines, le front européen présente aussi de sérieuses failles qui affaiblissent la position de l’UE.

Les Etats membres ont ainsi recalé la semaine dernière un projet de réglementation européenne sur la protection des données sur Internet. Ils se sont divisés entre ceux qui le jugeaient trop pénalisant pour les entreprises, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, et beaucoup d’autres, dont la France, qui ne le trouvaient au contraire pas assez protecteur des citoyens.