Le projet de la nouvelle Constitution répond-il aux attentes du peuple? Ou est-il, au contraire, comme l’affirment certaines voix dans la classe politique et médias, truffés de dispositions problématiques?
Ghazi Ghrairi se tient à égale distance des tenants de chacune de ces deux thèses.
Le professeur de droit constitutionnel décoche une flèche en direction de ceux des membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui s’étaient convaincus qu’ils allaient écrire une Constitution pour la nouvelle Tunisie en partant de rien. Ghazi Ghrairi estime qu’ils auraient dû se poser au préalable deux questions auxquelles il s’empresse de répondre: pourquoi écrivons-nous une Constitution et qui sommes-nous, nous autres Tunisiens qui nous attelons à cet exercice.
«Nous ne sommes pas n’importe quel peuple. Nous ne sommes pas nés aujourd’hui sur la scène constitutionnelle. Nous avons une histoire et cela fait porter une responsabilité à celui qui écrit la constitution», observe l’ex-porte-parole de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Qui rappelle que notre pays, dont la première Constitution remonte à Carthage, a été plus d’une fois précurseur puisqu’il a été le premier pays arabe à se doter d’une Constitution, d’une proclamation des droits des Sujets, à se doter d’un syndicat, d’une ligue de défense des droits de l’Homme, à avoir aboli l’esclavage, etc.
Raisonnablement optimiste, le secrétaire général de l’Académie internationale de Droit constitutionnel –qui parlait lundi 10 juin dans l’après-midi, lors d’un débat organisé par l’association Action Développement Solidaire (ADS), présidée par Radhi Meddeb- relève deux faits importants dans le processus d’élaboration de la nouvelle Constitution.
Le premier est «l’aptitude de la société politique à se laisser influencer par la société civile». Ghazi Ghrairi n’en veut pour preuve que cette «cinquantaine» de dispositions constitutionnelles modifiées sous la pression de la société civile. Dont l’abandon de l’idée d’y faire figurer une référence à la Chariaa, à la «criminalisation» de la normalisation avec Israël, etc.
Le deuxième fait positif réside, aux yeux de Ghazi Ghrairi, dans le fait que le projet de Constitution «a tenu compte de nombreuses remarques ayan trait aux libertés et à l’équilibre du régime politique. A ce sujet, le constitutionnaliste fait remarquer que le nombre de libertés mentionnées dans le projet de Constitution est largement supérieur à celui de la Constitution de 1959.
Mais est-ce à dire que la quatrième mouture du projet de constitution est «suffisante pour garantir une vie démocratique?», se demande le conférencier. Qui répond aussitôt clairement: non. Pour diverses raisons.
D’abord, les garanties destinées à protéger les droits en matière de libertés «ne sont pas suffisantes». Idem, ensuite, pour l’équilibre des pouvoirs. Faisant remarquer que, dans ce domaine, «des abus par le droit sont possibles», Ghazi Ghrairi recommande d’assurer l’équilibre à trois niveaux: entre les trois pouvoirs, au sein du pouvoir exécutif, et en mettant en place des «contre-pouvoirs qui sont les marques des démocraties modernes».
Si aux Etats-Unis, le contre-pouvoir est assuré par la Cour suprême, en Tunisie il peut l’être par la Cour constitutionnelle qui «sera l’arbitre». «Il faut qu’un Comité des sages puisse empêcher qu’une majorité élue n’aille à l’encontre des termes du contrat» accepté par tous les Tunisiens. Or, la composition et les critères de sélection des membres de cette instance posent encore problème, rappelle le spécialiste de droit constitutionnel. Mais ce qui dérange le plus Ghazi Ghrairi à ce sujet, c’est le fait qu’on prive encore la Cour constitutionnelle de «recours directe». Ce qui lui fait dire que le projet de Constitution est «encore loin du requis en matière de justice».
Les dispositions dites «transitoires» dérangent également Ghazi Ghrairi. Notamment parce qu’elles ne fixent pas une date pour le passage de la situation transitionnelle actuelle à la situation durable.
Malgré cela, cet éminent juriste est convaincu que «si nous persistons» dans la démarche jusque-là suivie et avec l’esprit ayant animé les uns et les autres, «on peut arriver à une bonne Constitution».