Trois jours de débats fructueux durant les rencontres 4M de Montpellier ont mis à plat le journalisme en mode 2.0 opposant et mixant les médias et les réseaux sociaux.
Colloque itinérant fondé en 2011 par Canal France international, la filiale de France Télévisions et financée par le ministère français des Affaires étrangères dont une récente session s’est tenue à Tunis, 4M est, au-delà du partage des expériences, une occasion pour dresser un état des lieux de l’influence des médias sociaux dans le monde du journalisme.
C’est aussi une opportunité pour les «redresser» en offrant une plateforme de réflexion pour leurs modèles économiques, en analysant comment ils évoluent, en redéfinissant leurs rôles et dressant leurs limites à informer dans une société qui bouge vite et dont l’instantanéité des échanges sur le web obligent à aller encore plus vite.
Durant ces journées, de nombreuses questions ont retenu l’attention. Une particulièrement pourrait trouver davantage sa place dans nos murs. Il s’agit de savoir si le blogueur peut être réellement considéré comme un journaliste. Les rapports entre les deux en Tunisie sont tendus.
Pour les blogueurs, les journalistes sont passifs et compromis avec le système ante révolution. Les blogueurs se considèrent comme les «stars» de la révolution du 14 janvier. «Certes, ils ont pris des risques, ont témoigné, mais ils avaient les coudées libres», disent certains professionnels de l’information. «Ils sont devenus des leaders d’opinion reconnus faisant la une des médias internationaux et se sont greffés à un métier qu’ils ne connaissent pas».
De nombreux journalistes estiment qu’ils n’évoluent pas dans le même registre bien qu’ils adoptent la même démarche informative.
Durant les 4M, il s’avère que cette problématique n’est pas propre à la Tunisie. Le journaliste, soumis à une ligne éditoriale, se doit d’observer des règles et des contraintes qui ne lui permettent pas d’imposer sa position. Un blogueur gère sa propre ligne éditoriale et peut changer ses positions en toute liberté.
Quand on additionne à cela la rapidité dans la course aux primeurs de l’information, cela se complique. A force de vouloir faire des «scoops», et de s’y presser sans vérifications, ce sont les dérapages qui sont garantis, et du coup, les médias qui s’adonnent au sensationnalisme s’en retrouvent discrédités, si tant est qu’ils avaient du crédit avant! Faux et archifaux, répondent les professionnels de «Twitter». Dès qu’une information est fausse sur le web, elle est rapidement corrigée.
Toutes ces interrogations poussent de nombreux professionnels à estimer que la vraie mission du journaliste est plus que jamais l’investigation, l’enquête, l’analyse, le décryptage… Un métier qui doit se définir à l’heure où justement les outils du net font de chaque citoyen un témoin, une source et un relayeur d’information… Cela fait-il de lui pour autant un presque journaliste?
Filmer la guerre
Nul mieux que les révolutions ou les guerres pour inventer de nouveaux modèles de transmission et de perception quand les images de guerre submergent Internet et deviennent par conséquent une arme qui peut se révéler à double tranchant.
Pour les journalistes, l’accès au terrain est périlleux et souvent impossible du fait que les Etats ferment tous les accès. C’est alors que des citoyens-témoins, acteurs pourvus de nouvelles technologies, assurent le métier à leur «place», balancent des milliers de vidéos comme c’est le cas actuellement en Syrie.
Alors que pour certains, la «révolution» tunisienne, est une révolution «Facebook», de nombreux observateurs disent la guerre en Syrie est une guerre «Youtube».
Déconsidérant ou déconcertant, pour ceux dont la lecture des événements du monde se fait par le prisme des nouvelles technologies, il ne fait aucun doute que nous sommes loin le temps où la première guerre du golfe montrait des images qui avaient choqué le monde -la seconde guerre ayant été «maîtrisée» au niveau des images et de sa couverture.
Désormais la guerre en Syrie prend une toute autre ampleur en termes d’images et de communication. Alors que des humains meurent, d’autres filment et racontent l’horreur, l’atrocité du quotidien et balancent sans limites la souffrance à un tel point que le journalisme aussi s’en trouve chamboulé.
On voit désormais ce que l’on ne devait pas, ne voulait pas ou pouvait pas voir. Le journalisme en ayant recours aux citoyens dépasse alors ses propres limites et le nouveau rapport qui s’installe est alors encore plus ambigu. On ne sait qui manipule qui et l’instrumentalisation prend pleinement encore plus de place.
Et si finalement ce «journalisme 2.0», créé dans l’urgence et la survie, n’aboutissait qu’à l’impasse?