Tunisie – Constitution : “Oubliez la justice indépendante, ce n’est qu’une parodie”, dixit RAoudha Labidi

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Fourberie, duplicité, imposture… Quelles autres épithètes apporter à une Constitution, laquelle, loin de s’améliorer d’un draft à un autre, recule plutôt que d’avancer? Des constituants rédacteurs qui rassurent pour mieux piéger et lesquels, loin d’engendrer une Constitution digne du Tunisien de 21ème siècle, s’évertuent à en faire une copie conforme de la «bible constitutionnelle» des frères musulmans conçue en plein milieu du 20ème siècle en plein rebond nationaliste islamiste, dénuée de tout souffle civilisationnel.

Le chapitre consacré à la justice dans la Constitution tunisienne ressemble à tout sauf à un ensemble de principes et de normes définissant les responsabilités et le fonctionnement du pouvoir judiciaire. C’est ce qui a, entre autres, incité le Syndicat des magistrats tunisiens à saisir l’Union internationale des magistrats pour mobiliser l’opinion publique internationale autour de la problématique de l’indépendance de la justice en Tunisie.

«On se demande bien qui a écrit le chapitre consacré à la justice dans la Constitution, qui a décidé des prérogatives des magistrats et de celles du pouvoir exécutif, et qui a intérêt à ce que les juges soient des condamnés à perpétuité du pouvoir en place. Que le peuple tunisien oublie donc la justice indépendante, ce n’est qu’une parodie», ironise Raoudha Laabidi, présidente du Syndicat des magistrats.

Il n’y a aucun doute aujourd’hui sur la volonté des pouvoirs politiques de mettre au pas la justice et de lui enlever toute velléité d’indépendance. Les garants d’une véritable transition démocratique sont la liberté d’expression, des médias et une justice indépendante. Bâillonnons les médias par des campagnes tous azimuts sur les réseaux sociaux et par le biais des LPR et enchaînons les magistrats par des lois constitutionnelles dont ils ne peuvent se défaire et contre lesquelles ils ne peuvent ni se défendre ni défendre l’autonomie de la justice, c’est ainsi que l’on assoit une théocratie.

«Nous nous attendions à ce que, suite aux remarques et suggestions faites par les organismes professionnels et les experts pour rectifier certaines clauses des articles consacrés au pouvoir judiciaire, il y ait une nette amélioration des conditions d’exercice des magistrats dans notre pays et de leur capacité à rendre leurs verdicts dans un contexte d’autonomie, de crédibilité et de neutralité. J’en doute fortement aujourd’hui».

En effet, dans le chapitre consacré au pouvoir judiciaire dans le projet de constitution approuvée par les Nejib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar et compagnies, qui n’épargnent pas leurs éloges, les références aux normes et standards internationaux pour une justice indépendante ont complètement disparu. Ce qui a laissé place à une amère déception chez les concernés et laisse planer des doutes sérieux quant aux véritables raisons de  l’aval inconditionnel accordé par les pseudo-démocrates à la Constitution d’Ennahdha. Dans le préambule, les référents internationaux ont disparu, c’est dire la cohérence de la démarche des frères musulmans griffés par Ennahdha dans notre pays.

Pire encore, l’Instance supérieure de la magistrature, qui devait être composée des trois conseils -l’un judiciaire, l’autre administratif et un autre financier- s’est vue majorée d’autre appelé la «Comité des conseils judiciaires». Quelle en sera la composition et qui désignera ses membres?

Quant à l’appellation, elle a été diminuée d’un terme «pouvoir» pour être réduite à l’Instance supérieure de la magistrature. Est-ce pour signifier aux uns et aux autres qu’il n’existe pas de pouvoir judiciaire mais une seule puissance, celle de l’exécutif?

La constitution même de l’instance prête à confusion dans le sens où on y parle d’une moitié de magistrats dont la majorité sera élue. Qui décidera du nombre des élus et à combien se montera celui des désignés? Ceci outre une autre composante de l’Instance qui ne fera pas partie du corps magistral et dont on ne connait même pas la provenance. Les membres peuvent être militants ou des adhérents à des partis politiques majoritaires, des instances civiles partisanes ou des énergumènes sortis de nulle part pour soutenir le pouvoir exécutif…

Le maitre mot du chapitre consacré à la justice est L’AMBIGUITE. Alors que l’on parlait de condamner tout interventionnisme dans la justice, on parle aujourd’hui d’interdire tout interventionnisme dans la justice. La nuance est de taille, selon Mme Laabidi. Le parquet qui devait, dans le premier draft de la Constitution, être plus autonome et plus indépendant dans la prise des décisions, est devenu encore plus dépendant.

Ah et les constituants se sont également rendu compte que le parquet était une composante du pouvoir judiciaire et n’était pas formé de marmitons travaillant dans la cuisine du Palais de Carthage. Encore heureux que l’on l’ait découvert et stipulé dans la constitution… Sauf que ces juges du parquet sont les esclaves de l’exécutif et doivent lui obéir au doigt et à l’œil auquel cas, il y a le mécanisme de la révocation des juges, lequel, lui, a été… tenez-vous bien constitutionnalisé!

Cerise sur le gâteau, la Cour constitutionnelle ne statuera ni sur la constitutionnalité ou la non-constitutionnalité d’aucune loi pendant trois ans, le temps que Habib Khedher et ses compères émettent des lois à satiété pour sécuriser leur périmètre de sécurité, promulguer des lois pour infiltrer l’administration et les hauts postes de l’Etat et s’assurer que rien ne pourra menacer leur bien-être s’ils venaient à partir.

Pendant ce temps là, alors que le pouvoir judiciaire est réduit en miettes par les frères musulmans nahdhaouis, les prétendus partis d’opposition, négocient, commercent et troquent avec un pouvoir qui agonise, le devenir et l’avenir des générations futures. Tous militent égoïstement pour une place au soleil mais oublient que le pouvoir détruit surtout lorsqu’on ne sait pas l’exercer, et celui-là n’a pas su répondre aux aspirations du peuple, coller aux ambitions de la jeunesse, ni même exprimer une appartenance à une patrie, une nation, une entité tunisienne et non pas «ikhouania».

Les constituants savent-ils qu’entre autres critères et pas des moindres, pris en compte par les investisseurs, les agences de notation et les organismes internationaux, figure en première place la JUSTICE?

Non mais de quoi a donc accouché cette pauvre Tunisie?