école Ban San Kong de Mae Chan, en Thaïlande, le 27 mai 2013 (Photo : Christophe Archambault) |
[17/06/2013 22:35:47] MAE CHAN (Thaïlande) (AFP) Dans une classe du nord thaïlandais, des élèves font glisser leurs doigts sur des écrans tactiles. Comme eux, 850.000 écoliers utilisent des tablettes censées améliorer un système éducatif sujet à polémique, mais certains doutent de la pertinence d’un programme qui va être généralisé.
A l’école Ban San Kong de Mae Chan, dans la province de Chiang Rai, 90 enfants de première classe de primaire ont reçu gratuitement l’an dernier ce nouvel outil électronique, dans le cadre de l’initiative “une tablette par enfant” promise par le gouvernement lors de la campagne électorale de 2011.
Aujourd’hui, ils sont passés en classe supérieure. Avec leurs tablettes.
Ecouteurs vissés sur les oreilles, pendant une heure, l’un massacre une chanson en anglais, un autre regarde un dessin animé sur la vie du révéré roi Bhumibol, un troisième fait un jeu mathématique. Alors que l’année scolaire vient de commencer, ils “révisent” les leçons de l’an dernier car les nouveaux contenus ne sont pas arrivés.
L’institutrice, pas encore formée, semble un peu désemparée. “J’ai quelques connaissances, j’utilise un iPad à la maison”, explique Siriporn Wichaipanid. Mais “si je ne comprends pas, je ne peux pas enseigner aux enfants”.
Pour les enseignants de cet établissement rural qui accueille principalement des enfants de la minorité ethnique akka, dont le thaï n’est pas la langue maternelle, l’expérience est pourtant plutôt positive.
“Les élèves ne parlent pas bien thaï mais quand ils ont les tablettes, ils peuvent écouter les sons (…) et répéter”, explique Wannawadee Somdang, institutrice de ces enfants l’an dernier.
école Ban San Kong de Mae Chan, en Thaïlande, le 27 mai 2013 (Photo : Christophe Archambault) |
Un bénéfice limité par le fait que seuls deux des 90 élèves ont le droit d’emporter leur tablette chez eux, où il n’y a parfois pas l’électricité et où les parents ne connaissent rien à ce nouvel outil.
“Ils n’ont pas le Wi-fi et ce n’est pas facile pour eux de charger les batteries”, explique le directeur Uthai Moonmueangkham.
Mais le simple fait d’utiliser en classe cet équipement hors de portée des plus démunis est un progrès, estime-t-il. “Quand le gouvernement leur donne (des tablettes), les enfants ont les mêmes opportunités que ceux de la ville”.
“Réduire l’écart éducatif” entre la riche Bangkok et les campagnes reculées est d’ailleurs un des objectifs du projet, explique Surapol Navamavadhand, son responsable au ministère des Technologies de l’Information et de la Communication.
D’ici fin 2014, les 13 millions d’élèves devraient être équipés de tablettes, à environ 100 dollars pièce. Le gouvernement a ensuite prévu de remplacer tous les deux ans ces outils très vite obsolètes.
Le royaume, qui revendique le programme du genre le plus important au monde, lancera prochainement un nouvel appel d’offre pour 1,7 million de tablettes supplémentaires.
Reste à savoir si elles aideront les élèves à mieux apprendre.
“La tablette n’est qu’un outil”, souligne Jonghwi Park, responsable du programme “technologies de l’information et éducation” de l’Unesco à Bangkok, appelant tout gouvernement enclin à se lancer dans l’aventure à “penser” au préalable l’intégration de l’appareil dans le système éducatif.
Les autorités mènent une “politique dans l’urgence et désorganisée” plaquée sur un système éducatif “dans le coma”, estime de son côté Somphong Chitradub, spécialiste de l’éducation à l’université Chulalongkorn de Bangkok.
Le chercheur préconise ni plus ni moins de “démolir tout le système”, basé sur des classes “passives” et “répétitives” et fondé sur l’apprentissage par coeur, qui conduit la majorité des jeunes Thaïlandais à être “incapables d’exprimer leurs opinions”.
Résultat, alors que l’Asie a joué les premiers rôle en 2009 dans la dernière enquête de l’OCDE sur l’éducation dans le monde, la Thaïlande s’y était classée autour de la 50e place sur 65 pays, en compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences.
Une performance médiocre face à d’autres pays qui se “concentrent sur le processus de réflexion”, reconnaît Rangsan Maneelek, conseiller au ministère de l’Education.
Il reste en revanche persuadé que les tablettes permettront aux enfants “de surfer à travers le monde pour trouver des sources d’informations et de connaissances”.
Et si certains s’inquiètent des images pornographiques et des sites de jeux violents, d’autres soulignent la nécessité de mettre les enfants en phase avec un monde qui a changé.
“Il y a beaucoup de prudence et de mises en garde de notre génération”, note Jonghwi Park. Mais “l’une des plus importantes connaissances pour vivre au XXIe siècle, c’est de savoir comment utiliser ça”, poursuit-elle. “Sans ces compétences, ils ne pourront pas trouver de travail”.