à Ogema, dans le Saskatchewan, au Canada (Photo : Clement Sabourin) |
[18/06/2013 09:18:32] OGEMA (Canada) (AFP) Pour satisfaire l’appétit insatiable de l’Asie, des immigrés chinois investissent des millions de dollars dans les prairies de l’ouest canadien. Vastes cultures ou élevages, ils bâtissent des fermes géantes afin d’exporter sur l’autre rive du Pacifique.
à Moose Jaw, au Saskatchewan, le 22 mai 2013 (Photo : Clement Sabourin) |
Ce phénomène est particulièrement développé dans la Saskatchewan, une province agricole plus grande que la France mais peuplée de seulement un million d’habitants. Ici, les champs s’étendent à perte de vue et leur acquisition est bon marché.Avec l’arrivée de ces nouveaux paysans, la valeur moyenne des terres de cette province a augmenté de 10% en 2012. Et dans les régions prisées des Asiatiques, le phénomène est encore plus fort: “Mes terres ont pris 50% en trois ans”, confie Ian Hudson, propriétaire d’un millier d’hectares autour d’Ogema, petit village du sud de la Saskatchewan.
Les autorités ont recensé une demi-douzaine de sociétés investissant massivement dans les terres arables. Elles le font avec leurs fonds propres, ou indirectement, en aidant des clients à acquérir des terrains pour, généralement, hériter de leur gestion.
Impossible de savoir combien sont ces nouveaux propriétaires terriens d’origine asiatique, et encore moins combien sont devenus fermiers: le gouvernement avoue l’ignorer. Mais, confronté à l’inquiétude des maires locaux, il a diligenté une enquête.
“La loi de Saskatchewan est claire: seuls les citoyens et les résidents permanents du Canada peuvent investir dans les terres agricoles (…) et les entreprises qui le font doivent être 100% canadiennes”, indique à l’AFP le ministre provincial de l’Agriculture, Lyle Stewart.
Toutefois, “des rumeurs veulent que certains intérêts essaient de contourner nos lois”. Un enquêteur spécial a été nommé l’an passé et “deux ou trois cas suspects ont été identifiés”, confie le ministre, sans aller plus loin.
L’Etat chinois dans l’ombre?
Dans ces campagnes canadiennes, plusieurs agriculteurs rencontrés par l’AFP confient leurs doutes: et si ces immigrés chinois aux poches remplies de dollars étaient en fait des prête-noms permettant à Pékin d’acquérir des terres arables?
à Ogema, dans le Saskatchewan (Photo : Clement Sabourin) |
Après avoir mis la main sur d’énormes gisements pétroliers dans la province voisine d’Alberta -forçant Ottawa à renforcer ses lois sur l’investissement étranger-, l’appétit de l’Etat chinois pour les ressources naturelles canadiennes apparaît infini.
“Il y en a qui disent que c’est l’Etat chinois qui achète. C’est faux, ce sont seulement des gens avec certains moyens qui veulent faire un bon investissement”, se défend Andy Hu.
A 39 ans, M. Hu dirige Maxcrop, un fonds d’investissement sino-canadien spécialisé dans l’achat et la gestion de terres arables en Saskatchewan. Fondé en 2009, Maxcrop possède 3.000 hectares et en administre près de 30.000 autres achetés par certains de ses investisseurs. Avec les économies d’échelle réalisées, M. Hu peut exporter à bon prix ses produits agricoles vers la Chine.
Ancien cadre dans une usine chinoise, Andy Hu dirigeait 1.000 employés et avait une situation confortable lorsqu’il a gagné le Canada en 2004. Après avoir été agent immobilier en Alberta, il a découvert le potentiel agricole de la Saskatchewan.
“Les terres sont sous-estimées ici”, répète-t-il, notant que parallèlement “la Chine et l’Asie ont besoin de davantage de protéines” avec l’émergence d’une classe moyenne “prête à payer pour bien s’alimenter”.
Il a sillonné la province et a commencé par jeter son dévolu sur Ogema, petit bourg de 400 habitants, il y a trois ans.
Rapidement, plusieurs clients de M. Hu ont acquis des milliers d’hectares autour du village. Investisseurs plutôt qu’agriculteurs, certains résidant encore en Asie, ils ont confié à Maxcrop la tâche de louer ces champs aux cultivateurs locaux.
Ces derniers sont encore partagés face à la popularité soudaine de leur coin de pays. Avec la spéculation, “c’est plus difficile désormais d’acheter des terres quand on est un jeune agriculteur”, note Stuart Leonard, 34 ans, descendant de paysans arrivés il y a un siècle du Luxembourg.
à Ogema, au Saskatchewan (Photo : Clement Sabourin) |
Arrêtant son tracteur pour marquer une pause dans le marathon annuel de semis, M. Leonard remarque que “peut-être faudrait-il chercher à comprendre d’où vient l’argent” des acheteurs.
Pour Mark Wartman, ancien ministre de l’Agriculture et nouveau président du CA de Maxcrop, c’est sans importance: “ce qui intéresse la loi, c’est l’identité du propriétaire, c’est tout”.
De Tienanmen aux prairies canadiennes
Casquette vissée sur le crâne, lunettes de sportif, combinaison verte et pick-up puissant, Sheldon Zou réside à Ogema avec sa famille depuis un an et demi. Venu en Amérique du Nord pour y “profiter de sa liberté”, cet ancien manifestant de la place Tienanmen a investi 1,5 million de dollars dans l’achat de matériel et de 1.600 hectares autour d’Ogema.
ériel, le 23 mai 2013 à ogema, au Saskatchewan (Photo : Clement Sabourin) |
Avec pudeur, ce quadragénaire explique que cet argent provient de ses activités antérieures d’homme d’affaires en Chine, puis aux Etats-Unis, et dans une moindre mesure, de prêts familiaux.
Arrivé sans expérience, il a dû compter sur les agriculteurs locaux pour apprendre les rudiments du métier. C’est la première fois qu’il effectue lui-même les semis, travaillant 16 heures par jour.
A ses côtés, se tient Georges, un ami chinois récemment arrivé. Ancien journaliste, ce colosse explique qu’après avoir vécu près de Toronto, il a décidé de tenter l’aventure avec Sheldon: “Acheter des terres ici, c’est un investissement intelligent”.
Pour Andy Hu, ce n’est qu’une première étape. Dans un village abandonné non loin d’Ogema, il présente un immense élevage de moutons ouvert en 2011 et surveillé par un jeune immigré chinois et sa femme. Son objectif est d’en faire d’ici trois ans le plus grand élevage du pays, avec 5.000 têtes, et d’exporter toute la viande vers la Chine. “Les opportunités sont immenses ici”, explique M. Hu.
Face à ces bouleversements fonciers, Stuart Leonard s’interroge: “Ces grands groupes qui achètent petit à petit toutes les terres ne pourront jamais les cultiver eux-mêmes. Vont-ils faire de nous de simples employés?”