Il semble ne veiller que sur le destin de la fragile Unité de Gestion par Objectif (UGPO) du tourisme tunisien, or la structure dont il est le directeur général ne parvient pas à se mettre en place alors qu’elle pourrait devenir un piller de l’avenir qui se joue pour un secteur qui reste vital pour l’économie tunisienne.
WWC: Quelle est la mission de l’UGPO?
Karim Gharbi : En 2009, le ministère du Tourisme a engagé une étude stratégique pour développer le secteur du tourisme, accroître sa productivité et corriger ses faiblesses. Cette étude, qui a été réalisée par le cabinet Roland Berger, a permis de fixer de nouvelles ambitions dont principalement l’augmentation du nombre d’entrées de touristes pour atteindre 10 millions en 2016 et aussi le doublement des dépenses par touriste.
Pour ce faire, une stratégie déclinée en 6 axes a été élaborée et un plan d’actions comprenant près de 160 mesures a été dressé.
La stratégie vise essentiellement:
1) la diversification et l’innovation du produit touristique, l’amélioration continue de la qualité du service et la formation du personnel,
2) le renforcement de la promotion institutionnelle,
3) le recours aux TIC pour la promotion et la commercialisation,
4) une meilleure desserte aérienne au meilleur cout,
5) une refonte de la gouvernance du secteur et,
6) un meilleur accès aux financements de l’exploitation et de l’investissement.
L’UGPO a ainsi été créée sur recommandation du Bureau d’étude et a pour mission de mettre en œuvre, sur une période de 5 ans, les 160 mesures en question, et ce dans le cadre d’une approche participative qui fait collaborer ensemble les professionnels du secteur privé et les administrations concernées.
Quels sont les moyens dont elle a été dotée?
L’UGPO est une structure administrative rattachée directement au ministre du Tourisme. Elle a été créée par décret en date du 31 octobre 2012. Théoriquement, ce décret a prévu 3 emplois fonctionnels: un directeur général, un directeur et un sous-directeur.
Sur un autre plan, un premier financement de 500.000 euros de l’AFD (Agence française de développement) a été mobilisé pour faire bénéficier l’UGPO d’une assistance technique au niveau de la gestion du projet.
Où en est l’avancement de la mise en place de cette unité ? Comment fonctionne-t-elle ?
L’UGPO connaît malheureusement beaucoup de difficultés de mise en place. A ce jour, sur les 3 postes fonctionnels prévus, un seul a été pourvu, celui du DG, alors que la nomination officielle tarde aussi à être publiée pour permettre une autonomie de gestion administrative comme le prévoit le décret de création de l’UGPO.
De même que l’UGPO ne dispose toujours pas des bureaux nécessaires pour recruter les cadres dont elle a impérativement besoin, ni pour recevoir les experts qui seront mobilisés dans le cadre de la mission PMO de l’assistance technique.
La mise en place de l’assistance technique est-elle aussi impactée par la lourdeur administrative?
Compte tenu de cette situation, le fonctionnement de l’UGPO se trouve fortement handicapé et la «mutation» du tourisme tunisien et fait face à des obstacles qu’il faudra faire sauter.
La mise en place de la stratégie du tourisme n’a de sens que si elle est portée par la profession et l’administration. Comment régissent ces deux entités?
Le secteur privé s’est beaucoup impliqué dans la phase étude en 2009-2010. De même que le secteur privé a soutenu la création de l’UGPO en 2012, et a adhéré pleinement à l’approche participative qui associe le secteur privé dans le pilotage et dans la mise en œuvre de la stratégie.
La FTAV et la FTH sont présentes dans les 8 groupes de travail chargés de la mise en œuvre des 160 mesures recommandées par l’étude stratégique. Cependant, de l’autre côté, l’administration marque le pas et plusieurs groupes n’ont pas pu poursuivre leurs travaux à cause de l’absence d’une implication forte de l’administration.
A ce jour, quelles sont les actions à moyen et court termes qui ont été réalisées et/ou validées?
Les 160 mesures préconisées par l’étude stratégique sont réparties entre actions «quick wins», actions conjoncturelles et chantiers structurels. Les actions «quick wins» ont été engagées depuis mars 2012, avant même la création de l’UGPO. Leur achèvement est prévu pour fin 2013.
Les principales actions traitées à ce jour par les différents groupes de travail relevant de l’UGPO sont: la programmation de l’organisation d’un événement «street golf» au Colisée d’El Jem au mois de septembre, la proposition d’un cadre réglementaire régissant les manifestations événementielles, la proposition d’un cadre de partenariat avec les principaux festivals culturels à impact international, comme le festival de Carthage, la préparation d’une matrice région/produit/période de l’année pour les besoins d’une promotion plus large et qui cible aussi plus de marché, l’examen de la stratégie national de développement du secteur du golf, l’examen de la stratégie nationale de l’activité ports de plaisance et croisière, la mise en cohérence des plans de développement des acteurs concernés par le transport aérien et le tourisme dans la perspective de la libéralisation du ciel, que la planification des travaux des commissions chargées du financement du secteur
Déjà, l’UGPO prévoit d’organiser, fin 2013 début 2014, des ateliers régionaux pour impliquer les acteurs locaux dans la déclinaison régionale de la stratégie du tourisme 2016.
Selon certains initiés l’UGPO est lâchée par ceux-là mêmes qui devaient la porter. A ce jour, seuls 2 groupes de travail avancent, de nombreux experts se sont désistés, l’ONTT, qui pourrait déjà commencer par appliquer cette stratégie, la laisse de côté… Ce désintérêt résume-t-il la considération et la place que l’on donne au tourisme? L’UGPO pour sauver le tourisme se fracasse-t-elle contre cette même incapacité que nous avons à travailler ensemble?
Un flottement induit par la conjoncture a secoué le bon démarrage de l’UGPO. Le contexte politique a conduit à deux reports de l’organisation de la grande journée de lancement de la stratégie qui était initialement prévue le 19 février 2013. Ensuite, il y a eu le remaniement ministériel suivi par les élections de la FTH. Les premiers décideurs n’étaient par conséquent pas disponibles. De ce fait, l’absence de mobilisation des groupes de travail est compréhensible.
Aujourd’hui, il s’agit de mettre en place rapidement le comité de pilotage prévu par le décret instituant l’UGPO et que préside le ministre du Tourisme. Ce comité sera le garant de l’implication de toutes les parties y compris les plus concernées qui, normalement, devraient s’approprier les recommandations de l’étude sans attendre.
Cependant, l’UGPO ne peut pas tenir longtemps si les moyens dont elle a besoin ne sont pas mobilisés. Le ministère du Tourisme devra se rattraper pour apporter rapidement les solutions qui s’imposent. La FTAV et la FTH doivent, de leur côté, s’impliquer avec plus de punch pour imposer le rythme approprié en désignant des représentants qui soient disponibles et capables d’imposer leur rythme et de partager leurs expériences.
Pensez-vous que le choix du tourisme et de son rôle dans l’économie tunisienne soit remis en question si on laisse échoir l’UGPO, porteuse de reconstructions et de restructurations ?
Un pays comme le nôtre, qui ne dispose pas de grandes ressources naturelles, ne peut pas changer du jour au lendemain de modèle de développement économique. Le tourisme demeurera pour longtemps un des piliers de notre économie et les gouvernements post-révolution ont confirmé ce choix. La création de l’UGPO découle de cette volonté politique de confirmer et de renforcer le poids de ce secteur dans notre économie.
Cependant, la conjoncture a beaucoup affecté l’activité touristique et, de ce fait, a détourné les efforts des responsables politiques sur le conjoncturel.
Reste qu’en période de crise, et pour n’importe quel secteur, il est important de préparer «l’après-crise», et je pense que c’est le rôle des cadres des différents ministères et des premiers responsables des différentes administrations (DG, directeurs…) d’assumer ce rôle, de veiller à maintenir «l’appareil de production» et de le préparer pour la reprise de l’activité et sa relance.
Pour le cas du ministère du Tourisme, tous les services sont tenus de soutenir l’UGPO qui a, en effet, pour mission de préparer l’après-crise. Le pays a besoin de croissance pour résorber le chômage et tous les fonctionnaires nantis d’emploi fonctionnel dans les différents départements ministériels devraient s’inscrire dans cette perspective de reprise.