Si l’Union européenne a pu accompagner les réformes démocratiques dans les pays de son voisinage, c’est grâce à l’expertise unique du Conseil de l’Europe (CdE). S’appuyant sur cette précieuse expérience, l’UE et le CdE ont offert ensemble leur aide aux pays du Sud de la Méditerranée engagés dans des ambitieuses réformes au lendemain du «Printemps arabe». C’est ce qu’explique Gabriella Battaini-Dragoni, secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe dans une interview exclusive accordée au Centre d’information pour le voisinage européen.
Pourquoi l’UE et le CdE ont-ils uni leurs forces pour promouvoir la démocratie dans le voisinage européen?
Gabriella Battaini-Dragoni: L’Union européenne et le Conseil de l’Europe sont bâtis sur des valeurs communes qu’ils partagent –les droits de l’Homme, l’État de droit et la démocratie. Certains des voisins de l’Est les plus proches de l’UE ont rejoint le CdE il y a dix ans. Depuis 2011, le Parlement marocain et le Conseil national palestinien bénéficient du statut de «Partenaire pour la démocratie» auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), tandis que le Parlement israélien y jouit du statut d’observateur.
Nous voulons que ces deux régions du voisinage –le Sud et l’Est– bénéficient de la stabilité et de la prospérité, qui ne feront que renforcer la stabilité de l’Europe. La meilleure façon d’y contribuer est de promouvoir la sécurité démocratique en encourageant le respect de nos valeurs communes.
L’UE et le CdE ont donc tout naturellement uni leurs forces vers cet objectif, afin d’envoyer ensemble un message fort aux pays partenaires et de maximaliser notre impact, assurant ainsi la complémentarité nécessaire.
Quel est l’objectif de cet effort commun?
Nous nous employons à accompagner le processus de transition démocratique ou à soutenir la consolidation de la démocratie en fonction des progrès réalisés dans les différents pays. Pour ce faire, nous mettons à leur disposition l’expertise et certains outils utiles du CdE. L’utilité de ces outils a été démontrée par le fait qu’ils ont contribué au changement démocratique dans d’autres pays membres du CdE. Certains ont depuis lors rejoint l’UE tandis que d’autres s’apprêtent à le faire.
Quels sont les domaines clés de la coopération UE-CdE ?
Cette coopération couvre de nombreux domaines. Les domaines prioritaires de coopération dépendent de l’évolution propre à chaque pays et de l’évaluation réalisée par les organismes de contrôle du CdE.
Notre coopération avec l’UE n’a cessé de se renforcer. Au niveau budgétaire, elle s’élève à plus de 20 millions d’euros par an. Au cours de ces dix dernières années, la coopération UE/CdE s’est concentrée sur le renforcement de l’indépendance et de l’efficacité du système judiciaire, sur la lutte contre la corruption et le crime organisé et sur la promotion de la bonne gouvernance, de la diversité, de la tolérance et du dialogue interculturel.
Notre coopération vise aussi à relever des défis qui dépassent les frontières, comme la traite des êtres humains, la contrefaçon de médicaments ou la cybercriminalité. La participation de tous les pays de la région reste indispensable pour lutter contre ces menaces internationales.
Quel impact peut-on attendre du programme «Renforcer la réforme démocratique dans les pays du voisinage méridional» sur les citoyens?
Ce programme entend essentiellement renforcer l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire, promouvoir la bonne gouvernance en luttant contre la corruption et le blanchiment des capitaux ainsi que le respect des droits de l’Homme, en accordant une attention particulière à la prévention de la traite des êtres humains.
Il inclut également des actions visant à promouvoir les valeurs démocratiques par le biais d’une approche régionale et à aligner la législation nationale sur les normes européennes et internationales.
Une justice plus indépendante et plus efficace, une meilleure gouvernance et un plus grand respect des droits de l’Homme bénéficieront en définitive aux citoyens de la région. Un environnement respectueux des droits de l’Homme, de l’État de droit et des valeurs démocratiques permettra en effet de créer un contexte plus favorable au développement économique.
«La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) a procédé à une évaluation du système judiciaire marocain, et achèvera bientôt l’évaluation du système judiciaire tunisien».
Quels sont, selon vous, les principales avancées dans le Sud à ce jour?
Tout d’abord, nous avons réussi à établir un climat de confiance et de respect mutuel dans nos relations avec les autorités des pays partenaires.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples. Un des organismes spécialisés du CdE, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) a procédé à une évaluation du système judiciaire marocain et s’apprête à achever l’évaluation du système judiciaire tunisien. Ces évaluations sont tout à fait fondamentales pour répondre aux besoins de réforme du système judiciaire des pays partenaires.
Un exercice similaire est actuellement réalisé dans le domaine de la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent au Maroc et en Tunisie, sur la base des méthodologies spécifiques utilisées par le GRECO (Groupe d’États contre la corruption) et le MONEYVAL (Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme).
Citons enfin, et surtout, l’inauguration récente de l’École d’études politiques tunisiennes, une organisation de la société civile soutenue par le CdE qui fait partie du réseau de la CdE et qui forme les futures générations de dirigeants politiques, économiques et sociaux.
L’École d’études politiques tunisiennes est la première structure de ce type dans la région –ainsi que la première école de ce genre à s’ouvrir dans un pays non-membre du CdE. Cette école a déjà formé, entre autres, un nombre important de jeunes leaders de l’Assemblée nationale constituante et de partis politiques.
La seconde École d’études politiques dans la région, l’École marocaine, a officiellement ouvert ses portes en mars 2013.
«Un des principaux défis concerne l’adaptation de nos instruments et de notre savoir-faire au contexte socioculturel et politique spécifique des pays partenaires».
Quel est le principal défi auquel vous devez faire face dans le Sud ?
Dans le Sud, un des principaux défis concerne l’adaptation de nos instruments et de notre savoir-faire au contexte socioculturel et politique spécifique des pays partenaires. Une adaptation essentielle si nous voulons offrir au Sud des réponses adaptées à ses besoins. Dans certains cas, ces réponses doivent être élaborées dans le contexte de l’instabilité politique, qui reste également un défi majeur.
Nous savons tous que les réels changements ne se font pas du jour au lendemain et que les progrès ne seront pas identiques dans tous les pays de la région. Nous devons être prêts à accepter qu’il en soit ainsi, tout en restant résolument engagés à poursuivre notre soutien.
De nouveaux projets vont-ils bientôt être lancés dans le Sud
«Renforcer la réforme démocratique dans les pays du voisinage méridional» peut être considéré comme un programme pilote. Il a déjà abouti à des résultats concrets, et nous supposons dès lors qu’il sera suivi d’autres programmes, qui s’appuieront sur notre précieuse expérience et sur les progrès réalisés à ce jour.
Dans le même temps, le CdR mène également d’autres actions dans le Sud du voisinage, grâce aux contributions volontaires de certains pays membres du CdE, notamment dans le domaine de la lutte contre les violences à l’encontre des femmes et des enfants ou de la promotion de la liberté d’expression en Tunisie. Toutes ces actions se complètement mutuellement tout en renforçant les actions d’autres acteurs.