Restée dans les cartons après la révolution du 14 janvier 2011, la stratégie «Horizon 2016» du tourisme tunisien est ressorti du congélateur. Relancée sous la forme d’une Unité de gestion par objectifs (UGPO), elle a pour objectif de se déployer sur différents axes stratégiques, appliquer 160 mesures en mettant une quarantaine sous urgence.
Mehdi Allani travaille sur la Commission marketing. Quelques mois et réunions après sa prise en main du dossier, il revient sur un déroulement pas toujours fluide. Il explique que le partenariat privé/public (PPP) n’est pas non plus et forcément le sésame pour sauver le tourisme tunisien… mais il faut bien passer par là!
Entretien conduit par Amel Djait
WMC : Vous êtes président de la Commission marketing au sein l’UGPO. Où en sont vos travaux? Quels sont les moyens dont vous disposez pour travailler?
Mehdi Allani : J’ai d’abord pris connaissance du diagnostic effectué par le cabinet Roland Berger et des différentes fiches-actions relatives à mon groupe “Marketing et promotion”. L’étude préconisait initialement 5 groupes de travail, mais l’UGPO a finalement opté pour 8 groupes.
J’ai ensuite travaillé sur la constitution de mon groupe et fait des recommandations de personnes compétentes pour les autres groupes. Il fallait expliquer l’originalité de cette initiative, la nouveauté du mélange public-privé et l’opportunité de changer les choses. Nous avons créé un logo pour cette unité et avons commencé à travailler sur un calendrier lorsque les événements de début février sont venus tout chambouler. L’urgence était d’inverser cette image catastrophique que relayaient les medias étrangers et plus particulièrement les médias français.
Les moyens dont je dispose sont la mise à disposition d’une salle de réunion au sein du ministère du Tourisme et d’un coordinateur. Néanmoins, nous avons présenté un projet événementiel et avons rédigé un rapport relatif au futur cahier des charges pour la campagne de communication institutionnelle 2014-2016.
Vous avez présenté des actions urgentes au ministre du Tourisme pour la saison à venir et probablement à sauver. Quel en a été le retour?
Après des réflexions au sein du groupe, nous avons conclu que l’action la plus efficace en termes de communication est l’événementiel. Elle permet de montrer la réalité de la Tunisie sans passer par de la publicité institutionnelle. L’impact en termes de réalisme est nettement plus puissant que celui d’une pub institutionnelle.
Nous avions l’opportunité de décliner la nouvelle campagne “Publicis” pour faire un mix entre la «pub» et l’«event». L’idée est donc de réaliser en vrai le visuel «Golf & El Jem». Nous avons développé le planning de réalisation autour de 3 axes (réalisation – logistique et scénographie – médiatisation) et avons établi un budget. Tout ceci est bien évidemment encadré par la fiche-action: Politique événementielle à portée internationale.
Ce projet fut présenté au ministre du Tourisme qui nous a montré son enthousiasme et sa volonté de le réaliser. Nous avons malheureusement été confrontés à de la lenteur et à un manque de réactivité de la part de l’administration. Ce qui est paradoxal, lors d’une communication de crise, la réactivité est le maître mot.
Nous avons par ailleurs profité de cela pour identifier les difficultés confrontées pour établir prochainement un cahier des charges: Projet Evénementiel.
La mise en place de la stratégie du tourisme n’a de sens que si elle est portée par la profession et l’administration. Comment régissent ces deux entités?
Je pense que c’est moyennement parti à cause de la désignation (et non élection) de présidents de groupes, du fait que l’ONTT et l’UGPO travaillent chacun de son côté, et du manque de moyens et d’actions immédiates. Ce sont quelques uns des facteurs qui plombent cette stratégie. Chacun a envie que l’autre fasse le travail à sa place! Certains étaient depuis le départ peu enthousiastes, d’autres le sont devenus au bout de quelques mois.
Au terme de quelques mois de coopération privé/public sur le «marketing» du tourisme tunisien, quelles sont vos conclusions ?
Le «marketing» manque de structure, de planification et de cohérence. Il est inconcevable par exemple de lancer la nouvelle campagne 2013 et de ne trouver aucun rappel dans les sites web de l’ONTT. Il est aberrant d’avoir une multitude de sites web (un par marché) alors qu’il en faudrait un principal et déclinable dans différentes langues. Idem pour les pages dans les réseaux sociaux. Nous avons présenté une très belle publicité mais n’avons pas su la faire vivre. Le «Libre de tout vivre» ne s’applique pas à la pub qui le vante.
Le marketing du tourisme tunisien passe incontestablement par un marketing de la culture tunisienne (patrimoine, terroir, artisanat…). Or nous n’en sommes pas là! Nos principaux concurrents surfent sur cette tendance depuis de nombreuses années. Il reste évident qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.
N’est-ce pas plus difficile de travailler quand le poste de direction du marketing est vacant depuis mars 2013? A ce jour, il y a au moins une douzaine de directions à l’ONTT qui attendent des nominations
C’est toute une mentalité qui va falloir changer. La structure et le vivier de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) ont malheureusement montré leurs limites.
Votre groupe et celui du transport aérien et de la diversification sont les seuls groupes qui avancent. Où en sont les autres? La mise en place boiteuse d’une stratégie sensée reconstruire et remédier aux maux du tourisme tunisien ne trahit-elle pas l’agonie du secteur qui reste pourtant vital pour l’économie du pays?
La mise en place de la stratégie est dépendante de ressources et financements tributaires de la conjoncture actuelle. Les modèles et calendriers ont été établis sur des années “normales”. La crise que transverse le secteur depuis la révolution nous a fortement pénalisés. Les autres groupes ont manqué d’enthousiasme, ce manque est dû a des présidents de groupes non fédérateurs et à une sensation d’inutilité. Nous travaillons donc sur les actions qui concernent uniquement le «marketing», et mettons de côté les nombreuses actions transversales avec les autres groupes.
L’UGPO a besoin de grandes compétences et de grands moyens. Elle a besoin d’un pouvoir décisionnel et d’une volonté politique. Pour mettre en place la stratégie 2016, il faudrait que le ministère du Tourisme soit puissant et réactif (à l’instar de l’exemple marocain).
Etrange sort que celui de cette stratégie 20016. Tout le monde l’approuve et semble bien se désolidariser de son application
C’est effectivement paradoxal! Seulement cette stratégie exige des changements. Or beaucoup semblent dérangés par ce changement. Sans vouloir faire endosser cela à l’administration, je cite donc l’exemple de l’hôtelier qui voudrait vendre des prestations de qualité mais n’est pas prêt à changer quoique ce soit dans son organisation.