Drôles de coïncidences. D’abord à Athènes. Le mardi 11 juin, le gouvernement grec décide de fermer brusquement la radiotélévision publique, «Ellinikí Radiofonía Tileórasi» (ERT) pour des raisons économiques et, surtout, pour mauvaise gestion. Le porte-parole du gouvernement, Simos Kedikoglou, avait expliqué à la presse que le groupe est «un cas exceptionnel d’absence de transparence et de dépenses incroyables».
Ensuite à Tunis, un jour après la fermeture de l’audiovisuel public grec, la commission parlementaire de la réforme administrative et de la lutte contre la malversation convoquent, le mercredi 12 juin, la PDG de la télévision nationale et la soumettent à un interrogatoire en bonne et due forme qui dit long sur les véritables intentions des actuels locataires de l’Assemblée nationale constituante.
Les membres de cette commission, apparemment bien préparés, ont reproché à la PDG de la télévision nationale et à ses collaborateurs moult choses.
Au plan de la mauvaise gestion, ils ont demandé sans aucun ménagement des éclaircissements sur l’affaire d’une trentaine de chefs de services qui perçoivent des primes mensuelles non justifiées de plus de 500 dinars, celle du coordinateur général de la programmation qui perçoit une prime de 10 mille dinars, un personnel pléthorique dont une grande majorité inexploitée (1.342 employés), l’absence d’organigramme, un faible taux d’encadrement (à peine 2%)…
Au plan du rendement, les constituants ont demandé des explications sur la désaffection que connaissent les chaines publiques El Watania I et II et sur les conditions dans lesquelles les animateurs et les invités sont choisis.
Les députés ont même demandé des éclairages sur la ligne éditoriale et politique de la télévision nationale et lui ont reproché de ne pas refléter les objectifs de la révolution et de maintenir dans des postes clefs des journalistes qui avaient collaboré avec le dictateur déchu.
Ils sont allés jusqu’à demander des explications sur les critères sur la base desquels la priorisation des informations dans le journal de 20 heures est établie. Et la liste est loin d’être finie…
Face à cette avalanche de questions, la PDG de la télévision nationale s’est certes défendue et a répondu point par point aux griefs des membres de la Commission, mais il semble que les jeux soient déjà faits et qu’elle-même avait contribué au pourrissement de la situation qui pourrait justifier, à court ou à moyen terme, la privatisation de la télévision nationale pour les mêmes raisons que l’audiovisuel public grec, en l’occurrence «surcoûts de production, personnel pléthorique, absence de transparence…).
Pourtant, la télévision nationale, avec ces deux chaînes, avait bien accroché les Tunisiens au lendemain de la Révolution. El Watania I a eu même l’honneur d’avoir été classée plusieurs fois première en matière d’audience. Ses journalistes nous ont gratifiés d’excellents reportages et de débats politiques de grande facture. Conséquence: le problème ne résiderait pas donc dans la disponibilité de cadres ou de journalistes compétents mais dans la mauvaise gestion dont sont responsables les PDG nommés par les soins du parti majoritaire au pouvoir: Ennahdha. Ce même parti qui avait mobilisé ses troupes pour mener depuis la révolution un travail de sape et de déstabilisation contre cette institution. Tout le monde se rappelle des spectaculaires sit-in devant le siège de la Télévision.
Il semble que ce ne soit que partie remise. Avec l’esprit revanchard qu’on connaît aux nahdhaouis, ils ont simplement changé de tactique pour miner la boîte de l’intérieur et la laisser pourrir pour justifier ensuite sa privatisation comme ils l’ont toujours souhaité.
Il n’est pas du tout étonnant également de penser que ce regain d’intérêt des nahdhaouis pour la télévision nationale ne soit pas lié à tout un programme prémédité et commandité par les institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI) -et dans lequel ils joueraient le rôle de cobayes- en vue de la privatisation de l’audiovisuel public perçu comme une source de gaspillage de l’argent public.
Dans cet esprit se situe l’enquête menée par le magazine français L’Express sur ce dossier. Il en ressort que beaucoup de chaînes publiques européennes touchées par les restrictions budgétaires risquent de connaître le même sort que la radio télévisée grecque. C’est le cas de l’audiovisuel public en Espagne (RTVE), au Portugal (RTP), en Italie (RAIU), en France (France Télévisions), en Grande-Bretagne (BBC) et en Allemagne (ZDF).