Alors que la Tunisie se prépare à fêter le début de l’été et en musique, au vu des nombreuses offres de spectacles et autres concerts, il y en a qui font l’option de ne pas se décarcasser. Ils restent scotchés devant leur petit écran zyeutant sur les princesses «harim» sortis d’un autre temps, celui du feuilleton que retransmet en ce moment Nessma Tv, «Harim El Soltan». Une production télévisée qui retient l’attention quotidienne cumulée supérieure à 45% des Tunisiens.
Faut-il y voir une sacrée révolution ou un sacre de la révolution?
Dans tous les cas, la fameuse pluralité tunisienne s’exprime enfin. Des fossés profonds et nombreux séparent les amateurs des détracteurs de ce feuilleton. Il est indéniable que ceux qui «rêvent» d’un temps passé composé de sérails, d’esclaves et de superpuissance masculine, et ceux qui y voient une tentative de banalisation de la polygamie, par exemple, il y a un grand écart.
Si en Tunisie «Harim El Soltan» séduit, ce même feuilleton n’est pas forcément très apprécié en Turquie par les conservateurs qui y voient un certain dévoiement des faits historiques et la transformation d’un de leur prince, le magnifique «Sultan Souleyman» sous les traits d’un «Don Juan». Ceci dit, pour d’autres, il est plus que certain que «c’est le pouvoir absolu, le luxe, la suprématie des musulmans sur les chrétiens pendant cette époque» qui prime.
Mais qui sont ceux ces autres Tunisiens qui ne regardent pas «Harim El Soltan»? Serait-ce de la pure spéculation que d’avancer que ce sont peut-être ceux qui sont en train de s’opposer à ceux qui veulent régenter la nouvelle vie des Tunisiens par le diktat du «Haram».
Ne sont-ils pas ceux qui livrent les batailles comme celle contre le verdict de «Weld El 15» qui écope de deux ans de prison ferme pour s’être exprimé? Ne sont-ils pas ceux qui refusent que la société soit régie par la loi et non le «hallal» et le «haram»?
Au-delà de la qualité de la fiction qui peut attirer toutes sortes de spectateurs, y compris ceux qui sont épuisés par les débats télévisés souvent stériles et malmenés, il est assez étonnant de voir les plus grands défenseurs de la «morale» fondre devant les décolletés plongeants de «Sultana Houyem». Comme si le fait qu’elle soit convertie et épouse d’un sultan rendait son «appréciation» moins avilissant!
En attendant, et alors que les Tunisiens semblent ne plus faire la prière en même temps puisque, selon le ministère des Affaires religieuses, les horaires de prière ont été changés dans certaines mosquées comme l’heure de la prière du «Icha» et celle du «Sobh», une bonne partie d’entre eux sont religieusement scotchés devant la petite lucarne à l’heure juste pour regarder les péripéties de «Harim El Sultan».
Gageons qu’après le temps des «Haifa» ou «Saddam», prénoms respectifs d’une chanteuse libanaise et de l’ancien président de l’Irak, il y a de fortes chances que les futurs nouveaux-nés de l’époque «Sultaniyet» de la Tunisie se prénomment Houyem, Selim…
Ceci étant dit, la Tunisie est loin d’être un cas isolé. Depuis plus de deux ans et partout où la série a été vendue et doublée, les téléspectateurs se régalent des intrigues de «Topkapi». Considérée comme l’une des plus importantes et grosses productions turques, la série est, dit-on, digne du meilleur de Hollywood grâce à une reconstitution juste et professionnelle de l’époque avec des décors et des costumes somptueux et un casting d’enfer.
Mais la série n’a pas vraiment que des fans! En Turquie, dès décembre 2010, la polémique est lancée. Le premier épisode est diffusé le 5 janvier 2011. Le Conseil suprême de la radio et de la télévision turque reçoit alors plus de 75.000 plaintes demandant l’arrêt de la diffusion. Du jamais vu encore dans l’histoire de cette institution habituée à traiter 10.000 plaintes par mois.
Les islamistes manifestent aussitôt leur colère. Ils dénoncent que l’on «montre leurs ancêtres comme des gens libidineux dans des harems».
Politiquement, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est aussi élevé contre la série. Dans une pique adressée à ceux qui critiquent sa politique étrangère, comme le rapporte l’AFP, il affirme: «Ils demandent pourquoi nous nous occupons de ce qui se passe en Irak, en Syrie ou à Gaza. Mais nous nous intéressons à tout ce qui est lié à nos ancêtres. Ils ne connaissent nos pères et nos ancêtres que par Le Siècle magnifique, mais ce n’est pas le Soliman que nous connaissons. Il a passé trente ans de sa vie à dos de cheval et non dans des palais comme il est montré à la télé. Je maudis et condamne les réalisateurs de ces séries et les propriétaires de cette chaîne de télévision. Ceux qui jouent avec les valeurs du peuple doivent recevoir une leçon».
Sauf que la série est une fiction et pas un film documentaire même si on dit souvent que la grande Histoire est composée de tant de petites histoires.
A défaut d’être politiquement incorrect, tous les baisers et scènes osées de «Harim El Soltan» sont censurés. Voilà pour sauver les apparences de ceux qui s’insurgent contre la présentation d’un «harem» comme un lieu de débauche!