Des smartphones (Photo : Jung Yeon-Je) |
[27/06/2013 13:53:49] Séoul (AFP) “Des esclaves décérébrés”: Kim Nam-Hee ne prend pas de gants pour sensibiliser des écoliers sud-coréens d’une dizaine d’années aux dangers des smartphones qui créent des dépendances chez des enfants de plus en plus jeunes dans ce pays ultra-connecté.
Kim demande aux jeunes élèves d’écrire le nombre d’heures qu’ils passent avec leur famille, devant la télévision, ou avec leur smartphone. Le nom de l’étude? “Qui est ta vraie famille?”
Patrie de Samsung, numéro un mondial des portables, la Corée du Sud est fière de ses succès dans les hautes technologies. Mais les autorités gouvernementales, sanitaires et éducatives s’inquiètent de la dépendance croissante au numérique des enfants, même à l’âge de l’école maternelle.
Le pays promeut depuis plusieurs années la technologie internet comme facteur clé de croissance et Séoul, la capitale, est souvent appelée “la ville la plus connectée de la planète”. Environ 70% des 50 millions de Sud-Coréens possèdent un smartphone, soit le taux le plus élevé au monde, selon le cabinet de recherche eMarket.
Mais les parents et les autorités s’inquiètent de l’obsession des plus jeunes avec le monde numérique. “Nous ressentons un besoin urgent d’entreprendre un vaste effort face au danger croissant de l’addiction numérique (…), notamment en raison de la popularité des téléphones multifonctions”, a déclaré mi-juin le ministère de la Science.
Avec les ministères de la Santé et de l’Education, il a demandé aux écoles d’organiser des cours de prévention sur l’addiction à internet, et des camps de vacances pour “désintoxiquer” les écoliers trop dépendants.
éoul (Photo : Jung Yeon-Je) |
Selon des données gouvernementales, plus de 80% des écoliers sud-coréens âgés de 12 à 19 ans possédaient un smartphone en 2012, soit deux fois plus qu’en 2011.
Et c’est plus de trois heures par jour que quelque 40% des propriétaires d’un appareil multifonctions passent à tweeter, tchatter ou jouer à des jeux, bien que les professeurs confisquent ces gadgets avant le début des cours.
Près de 20% de cette tranche d’âge sont “accros” aux smartphones, a révélé un sondage national conduit tous les ans.
Cette dépendance est définie par une liste précise de critères, parmi lesquels: être anxieux ou déprimé quand on est séparé de son smartphone, échec de plusieurs tentatives de réduction du temps consacré à l’appareil, se sentir plus heureux avec son téléphone qu’avec ses amis ou sa famille.
Les adolescents ne sont pas les seuls concernés et l’initiative gouvernementale cible également les élèves des écoles primaires, voire ceux des jardins d’enfants.
Smartphone baby-sitter
“Beaucoup de jeunes mères aujourd’hui laissent leur bébé jouer avec leur smartphone pendant des heures pour être tranquilles à la maison, et je pense que c’est dangereux”, déclare à l’AFP Lee Jung-Hun, psychiatre à l’université catholique de Daegu.
“Plus vous êtes jeune, plus il est facile de devenir dépendant”.
Kwon Jang-Hee, un ancien instituteur qui mène une association de lutte contre la dépendance numérique, sillonne le pays depuis 2005 pour informer et mettre en garde les enfants et leurs parents sur un mode de vie qui laisse trop de place au numérique.
“Notre sujet de prédilection en ce moment, ce sont les smartphones”, explique-t-il, car les parents peuvent moins surveiller leur usage que pour l’ordinateur par exemple. Il cite quelques cas extrêmes où les enfants ont menacé leurs parents de s’en prendre à eux, ou de se suicider, en cas d’appareil confisqué.
Les parents doivent réfléchir “très tôt”, selon Kwon. On n’utilise pas un smartphone pour calmer un bébé qui pleure et l’achat d’un appareil doit se faire le plus tard possible, estime-t-il.
Park Sung-Hee, une mère de famille qui a participé à une session consacrée à “la discipline en matière de smartphone”, organisé par Kwon, veut absolument que ses deux fils réduisent le temps passé sur leur petit écran de téléphone. “Lorsque je vais voir le soir s’ils dorment, je peux voir la lumière (de l’écran) briller sous les draps”, soupire-t-elle. “C’est pareil pour les adultes. Ils ne sont plus capables de communiquer ou de s’intéresser à autre chose”.
Aux enfants, Kim Nam-Hee, membre de l’association de Kwon, parle des écoles Waldorf aux Etats-Unis, qui interdisent les ordinateurs dans leurs locaux. L’établissement situé dans la Silicon Valley, en Californie, est prisé des parents travaillant chez Yahoo! ou Google.
“Pendant que vous devenez les esclaves décérébrés des smartphones et de leurs applications, l’élite américaine qui a créé ces instruments ne les donne pas à ses propres enfants”, sermonne l’intervenante, qui met en garde les jeunes contre la perte de créativité.
“Si vous utilisez trop souvent des smartphones, comme l’iPhone, sans avoir recours à votre cerveau, vous allez au final perdre votre capacité à créer quelque chose d’aussi formidable et novateur que l’iPhone”, dit-elle. “C’est l’ironie de la chose”.
Han Doug-Hyun, psychiatre spécialisé dans le traitement des addictions à l’internet à l’hôpital universitaire de Chung-Ang à Séoul, relève que les parents identifient le problème généralement quand leur enfant a 13 ans.
La dépendance à l’internet a parfois des conséquences extrêmes, qui font la Une des journaux: la police sud-coréenne a arrêté en 2010 un couple qui avait laissé mourir de faim son nourrisson de 3 mois, à force de jouer de façon obsessionnelle à un jeu en ligne… qui consistait à élever un bébé virtuel.